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ASEPE - Blog - Billets des amis - Bibliothèque Dauphinoise
 
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Blog - Billets des amis - Bibliothèque Dauphinoise

Bibliothèque Dauphinoise


C'est le pendant, plus vivant et interactif, du site :
www.bibliotheque-dauphinoise.com
où je présente une partie de ma collection de livres sur le Dauphiné, la montagne, les Alpes, etc. C'est un site de bibliophilie et de bibliographie.


Jean-Baptiste Genoux (1773-1833), imprimeur-libraire à Gap et inventeur d’un procédé de stéréotypie"

Le bulletin de la Société d’Études des Hautes-Alpes, de l'année 2021, vient de paraître. J'ai le plaisir d'y faire paraître une étude sur le premier libraire de Gap (et des Hautes-Alpes) et un des deux premiers imprimeurs du département : Jean-Baptiste Genoux, qui est aussi un des inventeurs de la stéréotypie. J'en profite d'ailleurs pour lui rendre la paternité de cette invention qui a parfois été attribuée à tort à Claude Genoux, l'enfant de Savoie.

 

Le moment venu, je mettrai le lien vers le contenu du bulletin, sur le site de la Société


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(09/01/2022 21:20)
Edité à Lons-le-Saunier et pourtant terriblement haut-alpin !"

On peut se demander quel rapport il y a entre ce livre de piété : Le Chemin de la Sanctification, publié à Lons-le-Saunier en 1824, et les Hautes-Alpes. Ce n'est évidemment pas par le sujet. Ce n'est pas non plus par l'auteur. L’ouvrage est anonyme et une recherche bibliographique sommaire ne permet pas de l’identifier.

Et pourtant, cet ouvrage et, plus particulièrement, cet exemplaire est quatre fois en lien avec le département : par le libraire qui l’a édité, par l’imprimeur qui l'a produit, par le libraire qui l’a vendu et par sa propriétaire. Il sont en effet tous les quatre hauts-alpins. Cela suffit à lui donner une place ici.

Commençons par le libraire qui l’a publié. Il est noté sur la page de titre : « Lons-le-Saunier, Chez Escalle et Comp.e, Libraires ». Il s’agit de Jean Joseph Escalle, né le 22 août 1797 à La Motte-en-Champsaur, fils d’un propriétaire cultivateur, Joseph Escalle, et de Rose Gauthier, originaire du Noyer. Bien que l’aîné de la famille, il n’a pas repris la suite de son père et a préféré rejoindre son oncle et ses cousins à Lons-le-Saunier comme libraire. Il a obtenu son brevet en mai 1822. Il exercera jusqu’à son décès en 1871, même s’il avait commencé à passer la main à son fils Arthur Escalle dans les années 1860. En 1829, il a épousé Julie Faure, une des petites-filles du botaniste Dominique Villars. Le mariage a eu lieu à Strasbourg.

La famille de sa mère, les Gauthier, comptait de nombreux libraires et éditeurs, installés à Bourg-en-Bresse, Lyon, puis Lons-le-Saunier. Etienne Gauthier, l'oncle de Jean Joseph Escalle, est né le 7 octobre 1772 aux Evarras, hameau de la commune du Noyer. Il a rejoint ses oncles et cousins, libraires à Lons-le-Saunier avant la Révolution.  C’est surtout lui qui a développé l’imprimerie à Lons-le-Saunier. C’est lui qui a imprimé cet ouvrage pour le compte de son neveu, le libraire Escalle.Son seul fils Frédéric (1797-1862) lui a succédé, donnant une grande ampleur à l’imprimerie familiale avant de la céder. Le propre fils de Frédéric Gauthier est Jean-Albert Gauthier-Villars, le célèbre imprimeur scientifique parisien, dont le fils Henry, dit Willy, a eu son moment de célébrité comme écrivain, publiciste et chroniqueur et surtout, aujourd’hui, comme premier mari de Colette.

Comme on le voit, cet ouvrage est le résultat de la fructueuse association d’un oncle et de son neveu, enfants de la « diaspora » haut-alpine installée à Lons-le-Saunier.

L’histoire haut-alpine de cet ouvrage ne s’arrête pas là. C’est maintenant l’exemplaire lui-même qui a sa propre histoire dans le département, plus spécifiquement à Gap.
Le libraire Jean Joseph Silve, né à Selonnet en 1785, ancien domestique de l’évêque de Digne, s’est installé à Gap comme libraire vers 1823, à la demande et avec l’appui du premier évêque de Gap post-concordataire, Mgr Arbaud. Il a obtenu son brevet de libraire en février 1825. Installé rue de Provence, à Gap, il a tenu boutique jusqu’à son décès en 1854. Il  a légué son fonds de commerce à sa servante, Mlle Tardif.

Au moment de son installation, il était probablement le libraire le mieux achalandé de la ville où il s’était plus particulièrement spécialisé dans le livre religieux et classique. Cette activité aujourd’hui marginale de l’édition et du métier de libraire était alors une des principales sources de revenu pour les libraires de province, l’autre activité étant les livres classiques à destination des collégiens.

C’est ainsi qu’en 1825, l’année du Jubilé comme l’atteste une étiquette au premier contre-plat, le libraire Silve proposait cet ouvrage à la vente. Il a aussi collé son étiquette de libraire sur une page de garde. Notons d’ailleurs qu’il y a visiblement eu une hésitation, suivie d’une correction, sur le nom du libraire qui, de Silve, a bien failli s’appeler Sylve.

Enfin, le livre a appartenu à une certaine Antoinette Laffrey qui a apposé sa signature sur la page de titre. Il s’agit très probablement d’Antoinette Laffrey, née à Gap le 2 février 1804, fille de Dominique Joachim Laffrey et Louise Antoinette Cherdame. Il est probable qu’on lui a offert ce livre. A l’époque, il était guère envisageable qu’une jeune fille de bonne famille, âgée de 21 ans, entre chez un libraire pour acheter un livre. Antoinette Laffrey a passé toute sa vie dans les Hautes-Alpes. Elle est morte à Lettret le 3 avril 1878, célibataire.


Pour être complet sur le lien avec le département, il faudrait identifier le relieur de l’ouvrage. A l’époque, les livres étaient vendus en feuilles, non coupés, sous des couvertures muettes d’attente. C’est d’ailleurs à cette époque qu’a commencé à apparaître la couverture imprimée qui permet d’indiquer le contenu de l’ouvrage. Il était donc d’usage de faire relier les livres. Le libraire se chargeait lui-même de le faire ou le confiait à un relieur. Ce pouvait être aussi l'acheteur qui le confiait à un relieur de son choix. Même si cela peut aujourd’hui surprendre, beaucoup de libraires étaient aussi relieurs ou disposaient d’un atelier de reliure. Il était même courant que des relieurs deviennent libraires pour écouler eux-mêmes le résultat de leurs travaux. A notre connaissance, Jean Joseph Silve n’était pas lui-même relieur, mais il pouvait très bien confier ce travail aux nombreux artisans de la ville. Ce sont les obscurs de l’histoire de la reliure. Ils étaient pourtant nombreux, capables de réaliser ces travaux certes modestes, mais soignés. Il n’était alors pas question qu’ils signent leurs travaux. On ne saura jamais qui a relié cet exemplaire, ni même s’il était haut-alpin, mais, connaissant le mode de diffusion du livre dans une petite ville comme Gap, il est fort probable que c’est le travail d’un relieur gapençais.

Pour finir, une autre question reste en suspens. Est-ce de manière délibérée que le libraire Escalle et l'imprimeur Gauthier se sont assurés de la diffusion de leur production dans leur département de naissance ? Ont-ils passé un accord avec le libraire Silve pour que celui-ci diffuse les ouvrages qu’ils publiaient et imprimaient ? C’est fort probable, mais cela reste évidemment à prouver.

Je pense qu’aujourd’hui, le libraire Silve est inconnu de tous. Le souvenir de ce modeste commerçant a été perdu. Si j’en parle aujourd’hui avec tant de détails inédits, c’est que, prochainement, un article sur un imprimeur gapençais va paraître dans le Bulletin de la Société d’Etudes des Hautes-Alpes. En travaillant sur lui, j’ai croisé – si j’ose dire – le libraire Silve et son protecteur ecclésiastique.

Enfin, je ne me suis guère étendu sur l’ouvrage lui-même. C’est vraiment le livre de piété par excellence. Une recherche dans le catalogue de la BNF montre que la première édition semble être de 1811, suivie par de très nombreuses éditions, jusqu’en 1879. Le catalogue ne contient pas moins de 79 notices sur cet ouvrage. On peut d’ailleurs remarquer que l’exemplaire est en bon état, alors que ces ouvrages étaient souvent beaucoup manipulés.

Maison de Jean-Etienne Gauthier,
rue du Commerce, à Lons-le-Saunier


J'ai plusieurs fois évoqué les familles Gauthier et Escalle :

Libraires hauts-alpins dans la France des Lumières

Une conférence sur l'ascendance haut-alpine d'Henry Gauthier-Villars, dit "Willy" avec le lien vers l'article correspondant : cliquez-ici.

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(18/09/2021 20:47)
Francis ou la Scierie des Eaux-Vives, un roman pour la jeunesse inédit, situé en Oisans"

En règle générale, je collectionne les livres, mais je ne dédaigne pas, parfois, de jeter un coup d’œil aux manuscrits et autres pièces uniques. C'est ainsi qu'une maison de ventes aux enchères proposait récemment un roman inédit qui, selon la notice, se passait à Villar d'Arène. Il vient de rejoindre ma collection.
 
En réalité, l'ensemble que j'ai acquis contient deux tapuscrits, dont l'un est ce roman pour la jeunesse et l'autre est aussi un roman, Youssouf le pauvre, qui se passe en Algérie. Ces deux tapuscrits sont reliés ensemble par une couture artisanale sous une chemise en papier fort portant les titres manuscrits des romans et cette mention : « L. Michel Feste-Roussel, 52 rue d’Alsace Lorraine, Oran ».
 

Ils sont chacun composés d'un ensemble de feuillets de 270 x 210 mm., portant le texte sur une seule face. Le premier feuillet, non chiffré, contient le titre.
 

Ils ont respectivement 117 et 44 feuillets chiffrés. Le premier tapuscrit contient de nombreux ajouts, suppressions, corrections et repentirs, certains à la machine à taper mais, pour la plupart, manuscrits. Le chapitrage a aussi été ajouté de façon manuscrite dans le texte qui est tapé en continu.
 

Le deuxième tapuscrit ne contient aucune correction ni aucune annotation manuscrite.
 
Comme je le disais en introduction, Francis ou la Scierie des Eaux-Vives, est un roman d’initiation à destination de la jeunesse qui se déroule en Oisans. C'est l’histoire d’un jeune garçon, Francis, qui trouve sa valeur d’homme en se confrontant à des situations adverses qu'il surmonte. Lorsqu’il rapporte son histoire au narrateur, il a quatorze ans, ce qui veut dire qu’au début du récit, il en a deux ou trois de moins. 
 
Francis est le fils de Jean et Jeanne qui possèdent une scierie à Villar d’Arène, appelée « la scierie des Eaux-Vives ». Le roman débute au moment de la déclaration de guerre en septembre 1939. Le père est mobilisé et son ouvrier Mathieu s’engage pour faire son devoir. Le fils doit donc seconder sa mère pour assurer la vie quotidienne sans pour autant reprendre l’exploitation de la scierie. Il apprend ainsi à labourer et à s’occuper de la maison. Comme il le dit lui-même :
Par la nécessité de ces travaux et sous l'impulsion de ma mère, je me débarrassais peu à peu, sans retour, d'une certaine indolence native. Ce n'est que maintenant que je mesure les étapes parcourues. Le jugement très sûr de ma chère maman et sa volonté souriant faite de douceur et de ténacité, me guidèrent presque à mon insu. [p. 22]
Dans ce parcours, une étape indispensable est l’initiation au ski qu’il apprend seul sur les pentes de Ventelon. Les principales épreuves qu’il a affrontées sont d’abord une expédition dans la neige vers La Grave et la vallée pour trouver du ravitaillement pour le village isolé. Il doit aussi affronter l’hostilité de l’« idiot » du village, Piarre. Plus tard, il doit s’occuper seul de sa petite sœur lorsque leur mère part retrouver leur père blessé à Beauvais. Celui-ci demande à sa femme de porter ce message à son fils :
Une seule chose l’inquiétait : notre avenir.
- Il faut que Francis relève la scierie… qu'il la remette en marche… Si Mathieu revient, il vous aidera… C'est un brave cœur. Mais s’il ne revient pas, tant pis !... vous vous passerez de lui… Il faut que la petite scierie des Eaux-Vives fasse à nouveau entendre sa chanson aux bords de la Romanche… Ce que le père a créé c’est au fils de le continuer… Tu le diras à Francis… , à mon petit gars…, à mon aîné… Je compte sur lui !... Tu lui diras aussi de veiller sur sa sœur, plus tard… Qu'ils vivent bien unis tous les deux… que jamais une querelle d’intérêt, une vilaine question d'argent ne les sépare. [p. 66] 
Répondant à l’appel de son père, Francis entreprend de remettre la scierie en marche. Il doit en particulier rétablir tout le système de captage d’eau qui actionne la turbine. Les épreuves ne sont pas terminées. Il doit ensuite affronter les dégâts causés par un orage et par la malveillance de Piarre. Dans cette succession d’épreuves initiatiques, la dernière est la mission périlleuse en hiver de franchir le col du Lautaret et de rejoindre le Monêtier pour aider le village à faire sauter un barrage qui obstrue la Guisane à la suite de pluies diluviennes. Le roman se termine sur cette mission réussie et le retour providentiel du père que l'on croyait disparu à jamais. On est alors à la fin de l’année 1940 ou 1941, car les dates ne sont pas indiquées et l’écoulement du temps est volontairement imprécis.
 
Le narrateur présente cette histoire comme étant celle que lui a racontée Francis lui-même. Aux trois quarts de l’ouvrage [p. 94], le narrateur clôt le récit dans le récit et poursuit par l’expédition au Monêtier qu’il raconte sur la base des témoignages des acteurs.
 
Deux autres épisodes s’insèrent dans l’ouvrage. Le premier raconte la rencontre, le mariage et l’installation à Villar d’Arène des parents de Francis. Ce passage est l’occasion de raconter un sauvetage en montagne et un trait d’héroïsme et d’abnégation du grand-père de Francis. Il est rapporté comme des confidences faites par la mère du jeune héros à son fils qui les rapporte lui-même au narrateur. Le deuxième épisode est une expédition de la mère de Francis pour rejoindre son mari blessé à Beauvais, en pleine défaite française. Le récit s’attache surtout au retour à Villar en plein exode, sans trains, ni moyens de transport. Pour ajouter au romanesque, l’auteur rapporte que la mère des enfants se charge d’un enfant de plus, Roger de la Touche, dont la mère est morte, tuée par une bombe.
 
Le roman se situe en Oisans. La scierie « Les Eaux-Vives » a été construite par le père de Francis sur des terrains que sa femme possédait à Villar d’Arène. On comprend qu’elle se trouve en aval du village, à une certaine distance, sur un torrent qui alimente la Romanche. L’auteur évoque rapidement la Grave, il cite plusieurs fois le Ventelon où Francis s’entraîne à faire du ski. Il décrit assez précisément le trajet entre Villar et le Monêtier par le Lautaret et, encore plus précisément, le trajet de retour par le col d’Arsine en donnant de nombreux noms de lieux : vallon du Petit Tabuc, lac de la Douche, fontaine du Degoulon, le refuge de l’Alpe, le pas de l’âne à Falque, etc., comme si l’auteur avait lui-même fait cette excursion. La montagne est surtout présente comme le cadre âpre dans lequel se déroule la vie des personnages. Elle s’impose à eux par la violence des phénomènes météorologiques : la neige, l’orage, les pluies diluviennes, les avalanches et, bien entendu, le froid. En revanche, en tant que telle, elle est peu décrite ni nommée, hormis une rapide allusion à la Meije lorsqu’il passe à La Grave : 
Mais en face, de l’autre côté du ravin où gisait la Romanche glacée, l’énorme massif de la Meije, la superbe montagne aux trois pics, toute vêtue de glace, brillait sous le ciel sombre ainsi qu’un gigantesque diamant. [p. 28]
Il cite aussi le Grand Galibier. Une autre région de l’Oisans est le cadre de la rencontre et du mariage des parents de Francis. En effet, ils vivent quelques temps à Chantelouve, près du col d’Ornon, chez le père de Jean. En revanche, la société montagnarde n’est absolument pas décrite, ni même évoquée. Il y a une unique allusion à l’usage de faire la lessive à la cendre deux fois par an, présenté comme propre au pays. L’intrigue pourrait se dérouler dans n’importe quelle société paysanne. D’ailleurs, la psychologie des personnages est assez sommaire. Le parti pris de l’auteur est de ne présenter que des personnalités bienveillantes et prêtes à aider les protagonistes, parfois de façon providentielle. La rencontre entre la mère du héros, coincée à Paris en plein débâcle militaire, et Hélène Dubois qui la prend en charge pour la transporter jusqu’à Lyon en est un exemple. Les épreuves du héros se déroulent dans une société sans heurts ni conflits. Il n’y a même pas de « vrai » méchant qui serve de repoussoir et dont le héros finisse par triompher. 
 
Il s’agit donc d’un « conte » moderne où un jeune garçon doit affronter les éléments déchaînés, la nature dure, parfois la bêtise innocente, mais jamais la méchanceté ou la médiocrité humaine. Au contraire, dans ce monde rude, en pleine guerre, les militaires, les notables – il est souvent fait mention des maires de La Grave, du Villar d’Arène et du Monêtier – , les commerçants font toujours preuve de la plus grande gentillesse, de compréhension quand l’argent vient à manquer, et de reconnaissance lorsque le héros a réussi à sauver la situation. Le seul « méchant » de l’histoire est Piarre, mais il l’est par simplicité d’esprit. D’ailleurs, Francis arrive non seulement à s’en faire un allié, mais l’aide à grandir en intelligence.
 
Le roman se clôt assez curieusement par un éloge du maréchal Pétain qui, comme le héros Francis, se dépasse pour accomplir l’« œuvre de sauvegarde. » Son nom n’est pas cité, mais l’allusion est transparente : 
Et la chaîne des jours heureux allait ainsi être renouée. La vie continuerait, dévoilant tour à tour ses soucis et ses sourires. L'œuvre de sauvegarde de la maison était accomplie. Un enfant s'en était chargé malgré sa faiblesse. Il était resté droit au milieu des ruines, puis il les avait relevées...
En France, pendant le même temps, alors que roulé au gouffre de la défaite, notre pays s'abandonnait, un Homme aux yeux clairs, chargé d'ans et de gloire, lui aussi s'était levé. Il demeura debout alors que tout s'écroulait autour de lui, debout dans la douleur, debout dans la débâcle… Il nous a rassemblés, il nous a ranimés et rendus à nous-mêmes. Par lui, nous sommes redevenus dignes de notre grand passé et dignes de notre avenir. "Père de la Patrie", tel est le nom que l’Histoire lui a déjà décerné. En est-il de plus beau ?... Il ne lui suffit pas encore, car il veut être aussi le père de tous les braves gens de chez nous et le grand-père chéri de tous les petits enfants de France. [p. 117]
Le tapuscrit ne porte aucune date. Cette conclusion du livre peut laisser penser qu'il a été rédigé vers 1942-1944, d'autant plus qu'il utilise le présent pour parler du maréchal. Même si L. Michel Feste-Roussel avait été un nostalgique de Pétain, il n'aurait pas rédigé ces quelques lignes de la même façon s'il l'avait fait après 1945. On ne sait évidemment pas s'il a essayé de publier son roman et, si oui, pourquoi il a été refusé.
 
L'auteur de ce roman est totalement inconnu. Une recherche rapide permet, dans un premier temps, de ne trouver qu'une référence à un prix de l'Académie française, en 1951, et quelques contributions à des recueils de chansons pour enfants. Une recherche plus approfondie m'a permis de trouver les grandes lignes de sa biographie et les références d'autres contributions. 
 
Louis Léon Feste est né à Lons-le-Saunier le 28 octobre 1882, fils d'un employé des chemins de fer, originaire d'Avignon, et d'une piqueuse de bottines, originaire de Lyon. Rapidement, la famille s'installe à Paris. Louis Feste entre dans l'administration des Postes dans laquelle il effectuera toute sa carrière. En 1932, il est contrôleur principal du central téléphonique de Paris-Archives. Il est alors nommé chef de bureau du central téléphonique de Lille-Urbain. Pendant quatre ans, il habite La Madeleine, près de Lille, avant d'être promu chef de bureau du central téléphonique d'Oran-Central en novembre 1936. Il part habiter en Algérie. Après sa mise à la retraite en 1942, il continue à vivre à Oran où il décède le 7 novembre 1960 à 78 ans. Il s'était marié le 19 janvier 1914 à Paris (12e) avec Fanny Roussel qui lui survivra 23 ans. Je ne sais pas s'ils ont eu des enfants.
 
A ses heures perdues, Louis Feste se consacrait à l'écriture. Sa production est difficile à évaluer car, à notre connaissance, il n'a publié aucun ouvrage sous son nom. Il a surtout contribué à des journaux et des revues. Sa première œuvre notable est une pièce en un acte jouée au Vieux-Colombier en décembre 1912 : Églogue. Il a bénéficié de quelques critiques favorables. Après de ce premier essai prometteur, il semble pourtant avoir abandonné le théâtre au profit du conte. On en trouve dans L'Humanité, La Franche-Comté à Paris, journal dans lequel il tient une chronique, Gil Blas, avant la guerre. En 1914, il reçoit un prix pour le scénario d'un film, Le Christ noir, qui ne semble pas avoir été tourné. Après la Première Guerre mondiale, il se tourne vers la littérature de jeunesse en donnant des contes dans Lecture pour tous. Je ne vais pas égrener toutes les modestes contributions qu'il a fournies. En 1936, après un prix pour une féerie pour rôles enfantins, la Nuit enchantée, le journal La Liberté lui consacre un petit article avec une photo, la seule que nous connaissons.
 

Il obtient en 1951 un prix de l'Académie française, le prix Henry Jousselin, pour Chansons et tableau. Sa vie n'est pas suffisamment connue pour connaître les raisons de son intérêt pour l'Oisans. Même si cela reste une supposition, il est probable qu'il y a passé un ou des séjours en vacances, car la lecture de son roman montre une connaissance qui n'est pas seulement livresque de la région. Comme je l'ai noté précédemment, il a dû faire le trajet du Casset à Villar d'Arène par le col d'Arsine, ce qui l'a conduit à en donner le tracé précis dans son récit.
 
Enfin, notons qu'il signe ses premières contributions Louis Feste. Ce n'est, semble-t-il, que vers 1930 qu'il prend l’habitude d'ajouter Michel à son prénom jusqu'à en faire son prénom de plume et de signer du double nom Feste-Roussel, composé avec celui de son épouse.

Il y a peu de romans pour la jeunesse qui ont l'Oisans pour cadre. Je n'en connais que trois.
 
Le premier est La Route de là-bas, de Suzy Arnaud-Valence, paru en 1968. C'est un livre pour adolescents dont le héros, fasciné par une image de la Meije, se fait aide-berger à La Grave et découvre ainsi le monde de la montagne. C'est un récit d'initiation, illustré par Michel Gourlier :
 

 
 
Je l'ai cité en premier car c'est celui qui me semble le plus proche dans l'esprit de Francis ou la Scierie des Eaux-Vives. Si ma mémoire est bonne, il est de meilleure qualité littéraire et surtout plus réaliste dans sa description des personnages et des situations. Probablement qu'en 1968, même dans cette littérature, on en est revenu de l'édification morale à base de  héros adolescents investis d'une mission de sauvegarde.

Le second, plus contemporain, puisque paru en 1944, mais d'un esprit plus proche des enquêtes policières du type "Club des cinq", est La Montagne aux 3 mystères, de Jean des Brosses. Ce livre se déroule dans des lieux imaginaires, mais quelques indices et les illustrations laissent entendre qu'il se passe en Oisans et en Dauphiné.




Enfin, le dernier, dans une genre différent, est Trag, le chamois, sur un texte de Micheline Morin avec des illustrations de Samivel, paru en 1948 pour la première édition. Cette histoire se passe dans le Combeynot, près du Lautaret.
 

 

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(21/06/2021 20:58)
Le tout premier livre imprimé à Gap ?"

Un libraire parisien bien connu présentait récemment ce livre de Daubenton avec cette accroche : « Le tout premier livre imprimé à Gap ? ». Le point d'interrogation est bien venu. Ce livre a nécessairement été imprimé à Gap après 1793, qui est la date de l'édition originale. Or, il y a de nombreux livres qui étaient déjà sortis des presses de Joseph Allier, à Gap, avant cette date.


Joseph Allier, né à Grenoble le 15 novembre 1763, est le frère d'un autre Joseph Allier, né à Grenoble en 1749, fondateur d'une dynastie d'imprimeurs grenoblois active jusqu'au XXe siècle. Les autorités nouvellement installées dans le département des Hautes-Alpes ont fait appel au frère cadet pour installer une imprimerie à Gap, dans le nouveau chef-lieu du département. L'objectif était de disposer d'un atelier sur place plutôt que de faire appel aux imprimeurs grenoblois. C'était un gage de qualité et de rapidité.Selon les sources, Joseph Allier serait arrivé en 1790 ou 1791. De fait, dans la Bibliographie historique du Dauphiné pendant la Révolution française, d'Edmond Maignien, les trois premières impressions d'Allier datent d'octobre 1790. Ce sont :

  • Discours prononcé à l'assemblée électorale du district de Gap par M. Bontoux, l'un des électeurs et maire de la commune de Pelleautier, dont l'impression a été ordonnée par l'assemblée électorale du district, ainsi que des motions qui sont à la suite. A Gap, chez J. Allier, imp. du département des Hautes-Alpes (octobre 1790), in-4°, 11 p (n° 1032)
  • Discours prononcé par M. Joseph Serres, chirurgien, à l'assemblée électorale du district de Gap, dans la séance du matin 16 octobre 1790. A Gap, chez J. Allier, imp. du département des Hautes-Alpes, 1790, in-4° 8 p. (n° 1033)
  • Procès-verbal de nomination et élection des juges et suppléants du district de Gap, département des Hautes-Alpes, 15 octobre 1790. Gap, J. Allier, 1790, in-4°, 78p. (n° 1034)

Ensuite, les impressions ont été très nombreuses à partir de cette date. Beaucoup sont de même nature que les trois premières : documents officiels émis par le département ou la municipalité de Gap, textes politiques comme les discours ci-dessus. A côté de cela, apparaissent des « vrais » livres, comme l'Almanach général du département des Hautes-Alpes pour l'année de grâce mil sept cent quatre-vingt-treize ou le Récit historique et moral sur la botanique, de Dominique Chaix, l'ami de Dominique Villars et, de ce dernier, un Mémoire sur l'étude de l'histoire naturelle et qui tend à établir qu'elle doit faire partie de l'éducation nationale, présenté par M. Villar, médecin de l'Hôpital Militaire de Grenoble.

Pour ma part, la première impression gapençaise de ma bibliothèque est une Adresse du District d'Embrun (Hautes-Alpes) à l'Assemblée des Vrais Amis de la Constitution, par Silvain, citoyen soldat des Hautes-Alpes, du district d'Embrun. Il s'agit d'une défense des hôpitaux de Charité, qu'un projet de décret de l'Assemblé Nationale prévoyait d'aliéner. L'auteur défend leur utilité dans les petites villes, en rendant hommage plus particulièrement aux dames religieuses hospitalières d'Embrun. Cette adresse a été lue à la tribune du Club des Jacobins lors de la séance du vendredi 11 février 1791, ce qui permet de dater approximativement cette impression.


En 1791, il existait toujours une imprimerie à Embrun, qui avait été établie par Pierre-François Moyse, de Grenoble, en 1776. Cet établissement était toujours actif. Il disparaîtra peu de temps après le décès de Moyse en 1794. Certes, son fils lui a succédé quelques années, mais il a dû vendre son matériel en 1797. Cette petite plaquette est la preuve tangible que l'imprimerie d'Allier avait pris le pas sur celle de Moyse, même pour des impressions embrunaises. Il y avait probablement une raison politique. Allier a toujours montré une grand attachement à la Révolution et à ses principes, ce qui en faisait l'imprimeur tout trouvé pour produire un document d'esprit révolutionnaire comme celui de Silvain. A l'inverse, Moyse représentait l'ancien monde, celui où la vie intellectuelle du département se trouvait à Embrun, auprès du siège de l'archevêché. Ensuite, la comparaison entre les impressions sorties des deux presses donne clairement l'avantage à Allier, qui disposait d'un jeu de caractères en meilleur état. Les impression de Moyse ont toujours souffert de la mauvaise qualité des caractères utilisés.

Sur Pierre-François Moyse, je renvoie à cet article du blog : L'apparition de l'imprimerie dans les Hautes-Alpes.

 




 

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(10/09/2020 15:00)
Carte topographique du massif du Mont Pelvoux, par Paul Guillemin, 1879"

Dans le cadre d'une recherche dont je vous ferai part en son temps, j’ai été amené à me rendre au département iconographique du Service historique de la Défense. Comme cela arrive parfois, j'ai non seulement trouvé ce que je cherchais, mais j’ai aussi trouvé ce que je ne cherchais pas… J’ai ainsi pu voir et obtenir une reproduction de la Carte topographique du massif du Mont Pelvoux par Paul Guillemin, parue en 1879, que je cite dans le chapitre correspondant de : Le Massif des Écrins. Histoire d'une cartographie de l'antiquité à l'aube du XXe siècle. Au moment de l’élaboration du livre, je l’avais vainement cherchée. Sous réserve de recherches plus approfondies, elle n’existe pas aux Archives départementales dans le fonds Guillemin. Elle n’existe pas non plus dans le fonds cartographique de la Bibliothèque Nationale de France.

Carte topographique du massif du Mont Pelvoux au 1/80.000, par Paul Guillemin, 1879
Source : Service historique de la Défense, Vincennes
La feuille de Briançon de la carte d’État-major (n° 189), parue en 1866, contient pour la première fois une topographie précise du massif des Écrins. En revanche, la toponymie s’avère particulièrement pauvre. Pour reprendre l’exemple cité dans l’ouvrage, la carte d’État-Major de 1866 ne comporte que neuf toponymes pour tout le massif de la Meije. Tous les sommets bien distincts : Grand Pic, Meije centrale, Meije orientale, etc. sont regroupés sous le seul nom de Meije. Autre exemple, les deux glaciers qui descendent de la face nord : glaciers de La Meije et du Tabuchet se retrouvent englobés sous le seul nom de glacier de la Meije. Très vite, il est apparu nécessaire d’enrichir la toponymie, pour, entre autres, rendre plus précises les descriptions des courses et ascensions. En l’état, la carte d’État-Major n’était pas suffisante pour une bonne appréciation des différents sommets que l’on pouvait conquérir.

Deux acteurs majeurs de l’exploration du massif se sont attachés à ce travail d’identification et de désignation, voire de baptême, des points remarquables du massif : sommets, cols, glaciers, brèches, etc. Henry Duhamel, de Grenoble, et Paul Guillemin, de Briançon, se sont tous les deux attelés à ce travail, qui devait naturellement déboucher sur une carte améliorée de ce point de vue. Une concurrence s’est établie entre eux. C’est Paul Guillemin qui publie dès février 1879 cette Carte topographique du massif du Mont Pelvoux au 1/80.000. Il a utilisé comme base de travail la carte de Prudent, publiée en 1874 à l'instigation du CAF, qui était une mise en couleurs et un essai de mise en évidence du relief par des courbes de niveaux fictives. Cette très belle carte a fait l’objet de ma part d’une longue description que vous pouvez lire sur mon site : cliquez-ici.


Carte topographique du Massif du Mont Pelvoux, par le capitaine Prudent, 1874.
Sur cette base, Paul Guillemin a ajouté des noms et des altitudes. Pour rendre l’ensemble plus lisible, ce qui était le défaut de la carte d’État-Major, il a écrit les légendes sur des petites étiquettes, ce qui fait bien ressortir le texte sur la carte. Il a aussi réduit l'échelle, de 1/40.000e à 1/80.000e, de telle sorte que les dimensions sont approximativement de 30 cm (hauteur) sur 50 cm (largeur). Le moyen de reproduction choisie a été de photographier le résultat obtenu et d’en faire une centaine de tirages pour diffusion. Ce procédé était moins couteux et surtout plus rapide que de s’engager dans un travail de gravure. C’est le photographe Jacques Garcin qui s’est chargé de cette publication. Installé à Lyon, celui-ci était originaire du Queyras. Il a souvent collaboré avec Paul Guillemin. Il est en particulier l’auteur d’une des photographies les plus célèbres de l’alpiniste, probablement contemporaine de l’édition de cette carte :

Paul Guillemin, par Jacques Garcin
Ils ont aussi collaboré pour une des plus grandes raretés haut-alpines, à la frontière entre le livre et la photographie : Club Alpin français. Album du Queyras (cent-dix photographies stéréoscopiques), dressé en 1879 par les soins et aux frais de la Section de Briançon du Club Alpin Français. Photographies par Jacques Garcin. Légende par Paul Guillemin, Lyon, imprimerie générale du Rhône, P. Goyard, 1880, in-8°, 8 pp. + 110 vues stéréoscopiques.


Cette carte de Paul Guillemin a été un des motifs de discorde entre lui et Henry Duhamel. En août 1879, ce dernier publie un Coup d'œil sur l'orographie des massifs de la Meije et de la Grande-Ruine, avec une carte dépliante :




Il s’agit d’un travail similaire dans son principe à celui de Paul Guillemin. Dans ce cas, le travail sur la toponymie ne concerne que le massif de la Meije et de la Grande-Ruine. Pour faire croire à une antériorité de sa publication, Henry Duhamel l'a datée de 1878. Lors du conflit qui les opposera, Paul Guillemin sera amené à préciser les conditions de publication des deux cartes :
II est bien vrai qu'en 1890, j'ai fait de larges emprunts à M. Duhamel, mais ce qui n'a pas été dit, ce qu'il fallait dire tout d'abord pour être juste, ce qu'ignorent les membres du bureau de la section de l'Isère et ce que n'ignore pas M. Pierre Lory, c'est que M. Duhamel m'a copié le premier et c'est le moment de révéler la supercherie de M. Duhamel.
Ma propre carte du Pelvoux, la première parue en France, fut mise en vente en février 1879. Aussitôt, M. Duhamel me rejoignit à Lyon, me reprochant d'avoir donné mon travail sur le moment, qu'il m'avait fourni des documents. En attendant, il fit ce qui lui convenait et publia en août 1879 sa carte du massif de la Meije datée de 1878. Je savais qu'il comptait usurper ainsi une sorte de priorité; néanmoins je ne dis rien et ce n'est qu'en 1886, dans l'annuaire du CAF, que je relevais dans une note la supercherie de M. Duhamel. M. Duhamel ne souffla pas mot et dans la Revue Alpine de juillet 1896, il s'est vendu en donnant lui-même, dix-huit ans plus tard, la véritable date de sa première carte : août 1879 et non pas 1878. (source : Les pionniers des Alpes dauphinoises, Pierre Lestas, pp. 33-34).
Certes, il s’agit de la parole de Paul Guillemin. Il est cependant avéré que l’on peut lui faire une plus grande confiance qu’à Duhamel lorsqu’il s’agit de savoir qui dit vrai, les deux hommes n’ayant pas le même rapport à la vérité et à l’honnêteté intellectuelle.

Au-delà de ce conflit de préséance, l’histoire donnera raison à Henry Duhamel, qui avait plus de temps et de moyens pour poursuivre son œuvre de topographe. Le résultat de ses travaux est la publication en 1887, avec le Guide du Haut-Dauphiné, d’une carte en 5 feuilles du massif qui apporte une foule d’informations.

 
Carte du Haute-Dauphiné, Partie NO., par Henry Duhamel, 1887.
Cette carte, par sa large diffusion, lui a donné une influence déterminante sur les mises à jour de la carte d’État-Major. En regard, la carte de Paul Guillemin de 1879 n’a été tirée qu’à 100 exemplaires, au prix unitaire de 3,50 francs.  La diffusion en a donc été très restreinte. De plus, son format et l’impossibilité de la plier facilement, à cause du papier photographique utilisé pour la reproduire, la rendaient peu maniables. Sa rareté dans les collections publiques est la preuve de cette faible diffusion.


Malgré ses activités professionnelles, ce qui était la différence notable avec le rentier Henry Duhamel, Paul Guillemin a travaillé à une nouvelle version de sa carte. Les minutes manuscrites de ce travail se trouvent dans le fonds Guillemin des Archives départementales des Hautes-Alpes (un extrait est reproduit dans notre livre).
Une nouvelle carte a été publiée d'abord en 1890 : Carte topographique du Haut-Dauphiné, au 50.000e, en collaboration avec M. Laëderich, tout aussi rare et introuvable que celle de 1879 (tirage à 200 exemplaires, dont un aux Archives départementales des Hautes-Alpes), puis en 1896, jointe au livre de Saint-Romme : Le Pelvoux. Voyage en zig-zag dans les Hautes-Alpes. Une légende précise qu'elle "est augmentée de 300 noms qui paraissent pour la première fois dans une carte".

Carte du Massif du Pelvoux, par Paul Guillemin, en collaboration avec M. Laëderich, 1896.
P.S : Je pense que cette carte est inédite et qu'elle n'a jamais été reproduite depuis sa parution. Néanmoins, n'ayant pas sous la main toute ma documentation, je n'ai pas pu le vérifier.
P.S. 2 : Après vérification, et sauf erreur de ma part, cette carte est bien inédite. Dans Les Pionniers du Dauphiné, Pierre Lestas reproduit une carte manuscrite, datée et signée de Paul Guillemin à Lyon, en 1875 (fig. 55), qui doit être un brouillon de ses travaux de cartographie. Elle provient aussi du fonds Guillemin des Archives départementales des Hautes-Alpes.

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(02/08/2020 09:16)
Enchères et rareté par l'exemple"

Les ventes aux enchères sont une source inépuisable de surprises. Des livres que l'on peut penser très recherchés partent, lorsqu'il partent, à des prix dérisoires. Des livres, que l'on peut penser sans grand intérêt finissent par atteindre des prix que l'on n'aurait pas imaginés. Une vente très récente (1er juillet) m'a permis de vérifier que, bien annoncé, un livre peut parfois dépasser tout ce que l'on considère comme un prix raisonnable.

Le comte d'Hauterive

Lorsque j'ai acheté le samedi 5 mars 2005, si j'en crois mes notes, au regretté Salon du livre et papiers anciens de la Porte de Champerret, un exemplaire des Quelques conseils à un jeune voyageur, je ne pensais évidemment pas avoir acquis une précieuse rareté. Pourtant, un exemplaire vient de se vendre plus de 1000 € le 1er juillet dernier lors de la vente en question (voir le lot).
 


Qu'est-ce qui m'attirait dans cet ouvrage dont le titre, c'est le moins que l'on puisse dire, n'appelle par le chaland ? C'est d'abord l'auteur, Maurice-Alexandre Blanc La Nautte, Comte d'Hauterive, un haut-alpin un peu oublié. Né à Aspres-lès-Corps le 14 avril 1754 et mort à Paris le 27 juillet 1830, Maurice Alexandre Blanc La Nautte (ou La Naute) a mené une carrière diplomatique sous l'Empire et la Restauration, au ministère des Affaires Étrangères, dont il fut en particulier le garde des archives. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages dont De l'État de la France à la fin de l'An VII et Éléments d'économie politique, paru en 1817. Il a été fait comte d'Hauterive en 1809.
 
L'autre raison est qu'il s'agissait d'un exemplaire de la bibliothèque dauphinoise Couturier de Royas, bien relié par Guetant à Lyon.
 

Quant au contenu, c'est un ouvrage destiné aux jeunes gens du Ministère des Affaires étrangères qui sont amenés à voyager. L'auteur leur donne une méthode et des conseils pour rassembler des informations et les mettre en forme pour pouvoir ensuite les exploiter. Il s'agit de recueillir les informations sous forme de fiches, qu'il appelle des Notes indicatives. Il donne la liste des thèmes sur lesquels le "jeune voyageur" doit s'informer : le système financier, le système judiciaire, etc., en insistant plus particulièrement sur les renseignements de population. Les exemples qu'il donne concernent le Brésil, ce qui peut laisser penser que ce petit livre appartient à la bibliographie brésilienne.
 
Ce qui peut donner l'impression d'une grande rareté est cet avis sur la page de titre qui ne porte aucune indication d'édition, ni d'auteur (voir ci-dessus) :
Nota. Ce travail n'est imprimé que par épreuve et n'est pas destiné au public. Les jeunes gens, pour qui il a été fait, sont priés de s'en réserver exclusivement l'usage, et sur-tout de ne pas le communiquer à des personnes qui soient étrangères ou indifférentes au service. Chaque épreuve portera un numéro, qui sera inscrit sur un registre avec le nom de la personne à qui cette épreuve a été confiée.

La première page porte la date : 14 avril 1826 et la dernière, l'indication "A Paris, de l'Imprimerie Royale".
 
Certes, Paul Colomb de Batines, dans l'Annuaire bibliographique du Dauphiné pour 1837, précise que cet ouvrage est "fort rare". Mais enfin. Dans les bibliothèques publiques de France, il n'y a pas moins de 18 exemplaires (source : CCFr). On a connu des livres plus rares, même si l'on pourrait me rétorquer que, justement, parce que la majorité des exemplaires sont dans des bibliothèques, cela rend d'autant plus rares les exemplaires encore disponibles sur le marché. Actuellement, il y a sur Internet un exemplaire à vendre, provenant de la bibliothèque d'un bibliophile oublié des Hautes-Alpes, Clément Amat. En plus, il est proposé à un prix quatorze fois inférieur à celui de la vente aux enchères, alors que le mien n'était "que" sept fois moins cher. Je sais des livres qui sont en même temps absents ou presque absents des bibliothèques publiques et fort rares sur le marché. C'est d'ailleurs là que réside la vraie rareté.
 
Cela étant dit, je ne voudrais pas que l'amateur qui a acheté ce livre pense qu'il a fait une mauvaise affaire (j'allais dire qu'il s'est laissé entrainer par le savant "habillage" des maisons de ventes aux enchères, mais cela dépasse ma pensée...). Peut-être est-ce moi qui possède un exemplaire que j'ai eu la chance d'acheter à bon prix et dont je ne soupçonne pas la valeur !
 
Tout est dans tout et le contraire de tout. Je ne sais en définitive que conclure !
 


Pour finir, en parlant, et de rareté, et du comte d'Hauterive, il me semble qu'un des 26 exemplaires de la notice biographique parue en 1839 en "jette" plus, surtout lorsqu'on sait que des 26 exemplaires imprimés, dont 25 sur papier de Chine et un sur papier couleur de chair, quatre sont conservés dans des bibliothèques publiques
 

et (accessoirement), un dans ma bibliothèque.

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(05/07/2020 16:33)
Histoire de la vie de Charles de Créquy de Blanchefort, Duc de Lesdiguières, Nicolas Chorier, 1683"

Le confinement et une belle vente à Dijon m’ont offert l’occasion de me replonger dans la bibliophilie dauphinoise. Depuis longtemps, je collectionne les ouvrages de Nicolas Chorier. L’exemplaire proposé présentait tout ce qui peut en faire un exemplaire désirable. Un texte rare, une belle provenance, dans une belle reliure janséniste de la fin du XIXe par un relieur lyonnais. C’est ainsi que l’Histoire de la vie de Charles de Créquy de Blanchefort, Duc de Lesdiguières, publiée à Grenoble en 1683, vient de rejoindre ma bibliothèque.


C’est une biographie de Charles de Créquy de Blanchefort (ca. 1571 à Canaples (Somme) - 17 mars 1638 à Breme (Italie)), 2e duc de Lesdiguières et pair de France (1626-1638), qui a été fait maréchal de France en 1626, en même temps que son beau-père était nommé connétable. Il a successivement épousé les deux filles de François de Bonne, duc de Lesdiguières et de son épouse Marie Vignon : Madeleine de Bonne (1576-1620) et Françoise de Bonne.


J’ai décrit plus précisément cette édition sur la page que je lui consacre. Je vous y renvoie (cliquez-ici).

Cette acquisition a aussi été l’occasion pour moi d’enrichir ma collection d’ex-libris dauphinois. En effet, cet exemplaire provient d’un célèbre bibliophile lyonnais, Joseph Nouvellet, né à Lyon le 30 décembre 1840 et mort à Saint-André-de-Corcy (Ain) le 20 janvier 1904 (sauf erreur de ma part, je suis le premier à donner les date et lieux de décès exacts de ce bibliophile), dont la bibliothèque a été vendue en 1891 : Catalogue de l'importante et magnifique bibliothèque de M. X. ... de Lyon ... vente aux enchères publiques à l'Hôtel des ventes à Lyon, le lundi 14 décembre et 8 jours suivants, Lyon, 1891, avec Louis Brun, libraire à Lyon, comme expert.


Malgré toutes mes recherches, je n’ai pas trouvé de numérisation en ligne de ce catalogue, ce qui fait que je n’ai pas pu vérifier que cet exemplaire avait été vendu à cette date. Il contient un feuillet ajouté à la reliure avec quelques notes de Joseph Nouvellet, complétées par une autre main, probablement d’un des autres propriétaires de cet exemplaire.


Complément : Après la publication de ce message, un lecteur de ce blog m'a sympathiquement envoyé une image du catalogue Nouvellet où l'on voit que cet exemplaire a été proposé sous le n° de lot 991.


On pourra aussi constater que l'expert s'est contenté de recopier les notes de Joseph Nouvellet dans sa notice...


Je me suis livré sur cet ouvrage à une petite enquête comme je les aime qui m’a conduit à penser que l’édition originale n’était pas cette édition de 1683 chez François Provansal, à Grenoble, mais une édition antérieure de deux ans, de 1681, chez Louis Nicolas, à Grenoble. Seule la Bibliothèque Nationale de France conserverait un exemplaire de cette édition originale et quelques exemplaires ont gardé la page de titre de l’original pour le second livre. Pour ceux que passionnent ce type d’enquête bibliographique, je les renvoie aussi à la page que j’ai consacrée à cet ouvrage. Juste pour conclure, que ce soit 1681 ou 1683, l’impression est probablement de François Provansal et seules les pages de titre ont été changées en 1683 lorsque l’imprimeur François Provensal est aussi devenu libraire à Grenoble en rachetant le fonds de Louis Nicolas et donc les feuilles d’impression qu’ils avaient faites pour lui.

Dans le cours de mes recherches, j’ai été amené à consulter l’exemplaire numérisé de l’University of Michigan, sur Google Books. En général, ils effacent les photos de doigts ou de tous autres moyens utilisés pour tenir l’ouvrage ouvert. Pour cette numérisation, seule un page a conservé la photo originale du doigt de l’opératrice de numérisation dont on peut admirer l’ongle savamment peint. Pour un ouvrage du XVIIe siècle, ce n’était pas le moins que de se décorer les ongles de façon aussi élaborée.


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(18/06/2020 15:31)
Le Lautaret par Joanny Drevet"

Il y a plus de 10 ans, peut-être vers 2008, lorsque mon site Bibliothèque Dauphinoise commençait à acquérir une certaine notoriété, j'avais été contacté par Noël Hermet.

Noël Hermet était, entre autres, un collectionneur d'ouvrages et d’œuvres sur les Alpes et la montagne. Il m'avait alors contacté à la suite de ma description de l'ouvrage de Pierre Scize, En Altitude, qui contient des illustrations (eaux-fortes et héliogravures) par Joanny Drevet. Il faisait partie de ces collectionneurs qui se passionnent pour cet artiste qui a été très actif dans les Alpes, en Savoie et en Dauphiné, artiste me semble-t-il un peu délaissé aujourd'hui. Noël Hermet m'avait alors envoyé une photo de ce dessin original représentant le col du Lautaret le 10 mai 1929. J'avais beaucoup apprécié le geste.


Joanny Drevet a ensuite utilisé ce dessin pour l'eau-forte qui illustre En Altitude (en face de la p. 32) :


La gravure tirée du dessin est sensiblement plus petite 88 x 126 mm. que le dessin original : 130 x 190 mm. On retrouve sur la gravure la même faute que sur le dessin : « Lautare » au lieu de Lautaret.

J'avoue que la gravure, plus que le dessin, rend beaucoup mieux cette atmosphère très particulière  des journées grises, alors que la neige couvre encore le sol. Souvent, cette lumière est annonciatrice de la neige, même si la date du dessin peut plutôt laisser penser à l'arrivée de la pluie.

Noël Hermet s'était fait graver un bel ex-libris, qu'il m'avait aussi envoyé. J'ai été d'autant plus sensible à cette intention, qu'il avait choisi la Meije comme illustration principale.


Il avait joint une notice explicative sur ce ex-libris : Ex-Libris Noël Hermet. Vous verrez que son autre sujet de prédilection était le Sahara.

J'ai ensuite eu l'occasion de le rencontrer sur les différents salons de livres de montagne et de dîner avec lui lors de ces dîners de bibliophiles de montagne. J'ai alors pu apprécier la personne, après ces premiers échanges par mail.

Noël Hermet est décédé en février 2019. Sa bibliothèque et ses collections ont été dispersées les 24 et 25 avril dernier. J'en ai profité pour acheter, entre autres, ce dessin original qui appartient désormais à ma collection. C'est aussi une forme de devoir de mémoire que d'assurer une continuité entre collectionneurs, par delà la mort, pour cette œuvre fragile.

Le catalogue de la vente, accessible à ce lien, Bibliothèque de montagne Noël Hermet, contient un beau portrait de Noël Hermet par Jacques Perret.

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(14/05/2020 21:01)
Le journal et les lettres de F. F. Tuckett"

La publication des journaux et lettres de Francis Fox Tuckett en 1920 est un ouvrage curieusement mal connu et jamais cité. Il est pourtant très intéressant pour l'histoire de la découverte du massif des Écrins. Relativement courant dans les bibliothèques anglaises et américaines, je n'en ai localisé qu'un seul exemplaire dans les bibliothèques en France (source CCFr), à la médiathèque de Chambéry. Il n'existe pas de version numérisée sur Internet, même sur des sites riches comme archive.org ou HathiTrust.  J'en connaissais l'existence grâce à la bibliographie de Jacques Perret, mais c'est suite à l'achat d'un exemplaire à un libraire anglais que j'ai pu le découvrir.


Francis Fox Tuckett a exploré le massif des Écrins en juillet 1862. Il a publié le récit de son exploration et de ses observations dans un article paru dans la 2e série de la revue de l'Alpine Club Peaks, Passes and Glaciers en 1863. Ce texte est bien connu et facilement accessible. Lors de ce séjour dans le massif, il a tenu un journal de voyage et écrits des lettres, comme il l'a fait pour toutes ses explorations dans les Alpes entre 1854 et 1876. C'est le Reverend W.-A.-B. Coolidge qui a assuré la transcription et la publication de ces documents dans cet ouvrage paru en 1920 : A Pioneer in the High Alps. Alpine diaries and letters of F. F. Tuckett, 1856-1874.


Un seul chapitre concerne le Dauphiné : V - Eastern Graian Alps, Monte Viso, Dauphiné Alps (pp. 119-146).  Certes, il ne nous apprend rien de nouveau. Pourtant, ce journal et ces lettres présentent un double intérêt. D'abord, ils donnent des renseignements sur le quotidien de ce voyage, qui n'apparaissent pas dans l'article qui le relate : les horaires, les lieux où ils ont dormi, les personnes qu'ils ont rencontrées, le temps qu'il à fait, les tracas du quotidien des voyageurs, etc. Tout cela, F. F. Tuckett le restitue avec une pointe d'humour anglais. Tous ces aspects ont été éliminés ou atténués dans l'article paru. Ensuite, l'autre intérêt est qu'ils ont été écrits sur le vif et permettent ainsi de mesurer l'incertitude sur la topographie interne du massif. Pourtant, F. F. Tuckett disposait d'une reproduction des minutes de la carte d’État-major que lui avait fournie le dépôt de la guerre (l'ancêtre de l'I.G.N.). Malgré cela, il a parfois beaucoup de mal à clairement identifier les sommets. Il confond la Meije et le Goléon, ce qu'il corrige lui-même dans le journal. Il se trompe sur les altitudes relatives des sommets. Ils clarifient des points pourtant déjà bien connus des ingénieurs de la carte : la distinction entre le sommet du Pelvoux, la crête du Pelvoux et Ailefroide, ainsi que l'existence d'un sommet plus haut que le Pelvoux.

Un autre intérêt de cette publication est de voir comment l'histoire est écrite par Coolidge qui n'hésite pas à attribuer à F. F. Tuckett le mérite de ces clarifications : « Tuckett cleared up two very important topographical points : (1) that the Ailefroide and the Crête du Pelvoux are distinct peaks, and (2) that the Ecrins is distinct from both the Pelvoux and the Ailefroide, and is the culminating summit of the entire region. » [Ailefroide et la Crête du Pelvoux sont des sommets distincts et Les Écrins sont distincts du Pelvoux et d'Ailefroide, et c'est le point culminant de la région.]

W.-A.-B. Coolidge est un érudit plutôt consciencieux et fiable, mais il a été victime d'un biais qui lui a fait attribuer à tous les grimpeurs et les explorateurs anglais ou américains des mérites supérieurs aux autres, en particulier aux Français. Rappelons qu'il a traité le guide Gaspard de chasseur de chamois, pour dévaloriser l'exploit de la première de la Meije dont il pensait que les Anglais devaient naturellement être les auteurs. Ce biais lui a aussi fait écrire des choses comme cela, à la suite du récit de Tuckett de la première visite au Glacier Blanc et du passage du col des Écrins : « Hence 12 July is a very important date in the history of the exploration of the High Alps of Dauphiné. » [« Le 12 juillet est donc une date très importante dans l'histoire de l'exploration des hautes alpes du Dauphiné. »] Dans le même ordre d'idée, il ne se fait pas faute de noter toutes les premières qui ont pu être réalisées par F. F. Tuckett, mêmes les plus modestes, comme le passage du col du Sélé.

Pour rendre justice à F. F. Tucket, rappelons que c'est Coolidge qui attribue ces mérites à Tuckett, alors que lui-même se montre beaucoup plus modeste dans ses articles. Jamais il ne s'attribue un quelconque mérite. En général, il garde un ton neutre, en ne faisant que rapporter ses propres observations et ses questionnements. Il ne les présente pas comme des « découvertes ».

L'extrait des minutes de la carte d'Etat-Major au 40.000e (accessible sur le site Geoportail),  montre que ces points de clarification étaient bien l’œuvre des ingénieurs de la carte. A la décharge de F. F. Tuckett, il est probable que la copie dont il disposait était petite et difficilement lisible. Si c'est celle qui se trouve dans l'album Tuckett conservé aux Archives départementales des Hautes-Alpes dans le fonds Guillemin, il est compréhensible que, vu sa petite taille, il ait eu du mal à en tirer toutes les informations qui apparaissent clairement sur les minutes originales.


Je développe plus longuement ces différents points dans la page je lui consacre : cliquez-ici.

J'ai transcrit les passages du chapitre V intéressant le Dauphiné : cliquez-ici.



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(26/03/2020 13:45)
Quelques développements sur un ephemera"

Dans ma collection, je ne néglige pas ce que l'on appelle les ephemera (Déf : « Collection d’écrits et d’imprimés à une utilisation courte, sans souci d’être conservé au moment de leur fabrication, comme affiches et billets. »).

J'ai acheté ainsi une petite affichette (21 cm x 30,5 cm) que je vous laisse découvrir :


Elle est imprimée sur un papier très fin (papier chandelle). Le contenu est le suivant :
GRAND HOTEL DU PROMONTOIRE
Maison de haut ordre, fondée par M. de CASTELNAU, en 1877
OUVERT TOUTE L'ANNÉE
Particulièrement recommandé aux personnes aimant la tranquillité

Station climatérique incomparable, à plus de 3,000 mètres d'altitude. — Vue splendide sur les montagnes et les glaciers du massif du Pelvoux. — Centre d’excursions célèbres. —Ascenseur système Gaspard, desservant tous les étages. — Logement et éclairage gratuits. — Table d'hôte (midi et 7 h.), à la Bérarde, au Lautaret et à La Grave. — Fumoir. — Nombreux petits jardins alpins, balcons et terrasses.
ON PARLE TOUTES LES LANGUES
N.-B. — Il est inutile d’avertir d'avance ; une chambre bien aérée est assurée à tous les Alpinistes, dans les dépendances de l'Hôtel.
Au premier abord, on pourrait penser qu'il s'agit d'une simple publicité pour un hôtel de tourisme. Il ne faut pas longtemps pour comprendre le double sens de cette affichette. Il n'existe pas de Grand Hôtel du Promontoire et c'est tout simplement une annonce fictive pour une des étapes de l'ascension de la Meije. Cette impression reprend les codes des annonces publicitaires de l'époque, jusque dans l'utilisation de mots devenus désuets comme « climatérique » (on dirait aujourd'hui climatique).

Pour ceux qui ne sont pas familiers avec la Meije, ces deux phrases sont une clef de décryptage : « Maison de haut ordre, fondée par M. de CASTELNAU, en 1877 » : la première ascension de la Meije a été réalisée par M. Boileau de Catelneau le 16 août 1877 avec le guide Gaspard, dont le nom est cité dans cette annonce « Ascenseur système Gaspard, desservant tous les étages. »

Pourquoi cette affiche a-t-elle été imprimée ? Je pense qu'il s'agit d'une impression pour assurer la promotion  de cette plaquette de Félix Perrin, parue en 1896 : Le grand Hôtel du Promontoire, Lyon, 1896. Il s'agit du tiré à part d'un article de la Revue Alpine, dans lequel Félix Perrin donne le récit d'une ascension de la Meije, en août 1893, traité sur un mode humoristique. Il raconte une traversée des arêtes de la Meije faite en compagnie de MM. Pocat et Lizambert, et du guide Gaspard, en sens inverse de l'ascension habituelle, puisque le point de départ fut Villar-d'Arène. A la descente, surpris par la nuit, ils durent attendre le jour sur une des corniches du Promontoire, d'où le titre de l'article. Le style humoristique du texte est bien en accord avec l'humour, un peu « potache », de cette affichette. La plaquette contient aussi un texte sur l'abbé Guétal.

Si l'on en croit Mathilde Maige-Lefournier, dans ses Itinéraires commentées de la Meije, publiés dans La Montagne, volume V, 1909, pp. 569-614, ce « Grand Hôtel du Promontoire » est le point qui est appelée aujourd'hui le « Campement des Demoiselles », avec cette précision :
Ce nom de campement des Demoiselles vient de la halte de deux heures que Miss Richardson, arrivée trop tôt pour aborder le rocher, fit en ce lieu en 1888. C'était la première ascension féminine.
Le père Gaspard appelle ce lieu : « Chambres des Demoiselles anglaises », alors que Félix Perrin le nomme « Grand Hôtel du Promontoire ». Escudié parle du « Campement Pic » en le situant sans doute au même endroit que le campement des Demoiselles.
Là, plusieurs caravanes célèbres passèrent la nuit, entre autres celle de M. et Mme Maquet.

Cette photo extraite d'une description de l'itinéraire de la Meije permet de situer ce campement, un peu au-dessus du refuge du Promontoire.

Source : camptocamp.org
Et pour ceux qui veulent mieux visualiser la « Station climatérique incomparable, à plus de 3,000 mètres d'altitude. », cette photo permet de voir tout le confort qui est offert « aux personnes aimant la tranquillité. »

Photo de Benoît Landeche, du 9 juillet 2016 publiée sur le site camptocamp.org
Le seule point qui reste inexpliqué est le collage postérieur d'un papier blanc portant « Grand Hôtel du Promontoire » en lieu et place du même texte que l'on peut lire par transparence. Ce collage est postérieur car le style graphique est sensiblement différent du style initial de l'affichette. La typographie, le jeu sur les polices de caractères et surtout le style de l’encadrement du texte permet bien de dater l’affichette de la fin des années 1890. Le collage me semble sensiblement postérieur de plusieurs décennies (années 1920 ?).

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(06/03/2020 21:33)
Une réimpression par un imprimeur gapençais en 1838"

Au début du XIXe siècle, Paul Colomb de Batines est un bibliophile et un bibliographe actif, plein de projets, parfois brouillon, et, malgré une famille aisée, un peu désargenté. J'en ai déjà parlé sur ce site : Paul Colombe de Batines.

Parmi ses initiatives, il est l'un des premiers à avoir fait réimprimer des textes introuvables ou rares concernant le Dauphiné. Cette initiative est promise à un long avenir jusqu'à nos jours. Il commence en 1835 par la réimpression en caractère gothique d'un opuscule du début du XVIe siècle : Sermon ioyeulx. Il fait appel à l'imprimeur Prudhomme de Grenoble. Fidèle à sa culture de bibliophile, il propose un tirage restreint de 42 exemplaires, dont 32 sur papier vélin, 8 sur papier de couleur et 2 sur peau de vélin.

En 1838, il choisit un texte sur les Chartreux qui est plus proche de l'histoire du Dauphiné que le précédent. Cette fois-ci, il fait appel au seul imprimeur de Gap, Alfred Allier : Description de l'origine et première fondation de l'ordre sacré des Chartrevx, naifvement pourtraicte au cloistre des Chartrevx de Paris. Traduicte par V. P. Frere François Iary, Prieur de nostre Dame la Pree lez Troyes.


Paul Colombe de Batines, originaire de Gap, a eu le mérite de faire travailler un imprimeur de sa ville natale, pourtant peu familier des impressions de qualités comme le demande l'impression d'un texte du XVIe siècle. En effet, il faut pouvoir reproduire le style de cette époque, ce qui est une performance pour un imprimeur essentiellement dédié aux travaux administratifs et aux quelques ouvrages de débit courant des auteurs locaux. L'histoire de l'imprimerie à Gap (et dans les Hautes-Alpes) reste à faire. Cela permettrait de situer ce travail dans la production d'Alfred Allier.


Le colophon donne toutes les informations sur cette réimpression, qui a été faite à petit tirage, comme la précédente :
N. B. Cette réimpression presque fac-simile d'un ouvrage devenu assez rare, exécutée sur l'exemplaire qui se trouve dans ma bibliothèque, n'a été tirée qu'à 102 exemplaires dont 8 sur papier de couleur. Il existe deux éditions de la version latine : la première de , Parisiis , 1551, petit in-4°, est citée comme rarissime dans le Catalogue Boulard ; la seconde imprimée, Parisiis, apud Guiliemum Chaudière, 1578 , forme un petit in-4° de 15 feuillets, signé Aij — Diij.
Achevé d'imprimer chez A. Allier, imprimeur à Gap, le 20 juin 1838.
                                                                                         Vic.te Colomb-de-Batines.





Comme on le voit, il a fait appel à sa bibliothèque pour trouver un texte rare. C'est peut-être la limite de sa démarche. L'histoire de la bibliographie dauphinoise aurait gagné à ce qu'il choisisse un texte plus important pour l'histoire du Dauphiné, comme le feront les Trois Bibliophiles dauphinois dans les années 1870 ou Eugène Chaper.

Les initiatives bibliographiques de Paul Colomb de Batines se sont rapidement arrêtées à cause de ses problèmes d'argent. Un an plus tard, il est obligé de vendre sa bibliothèque. L'édition de 1578 n'apparaît pas dans cette vente (Catalogue d'une partie des livres composant la bibliothèque de M. C. de B. (Colombe de Batines), dont la vente aura lieu le 26 novembre 1839, à Lyon). En revanche, deux exemplaires de cette réimpression ont été proposés à la vente, sous les n° 244 et 244bis (exemplaire sur papier de couleur).

Comme l'indique l'ex-libris qui se trouve au premier contre-plat, cet exemplaire provient de la bibliothèque d'Armand de Saint-Ferriol, qui a été vendue à Lyon en décembre 1881. Il apparaît sous le n° 1596, avec cette appréciation : « [Cette réimpression] est devenue fort rare. »

Lien vers la page consacrée à cette plaquette : cliquez-ici.

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(21/02/2020 15:50)
Notice biographique et bibliographique sur Eugène Tézier"

J'avoue que je trouve un plaisir particulier à faire la biographie d'illustres inconnus. C'est une forme de vice impuni qui n’est ni la lecture, ni la bibliophilie. Prenez un personnage ayant existé, pour lequel une recherche approfondie sur Google ou Gallica montre que personne ne sait ni quand il est né, ni où il est mort et qu’est-ce qu’il a fait de sa vie. Vous me demanderiez pourquoi s’intéresser à une telle personnalité. La réponse est simple. Son nom se trouve accolé à celui d’un livre. Prenons donc ce beau livre illustré sur les chasseurs alpins paru en 1898, avec des dessins d’Eugène Tézier et des textes d’Henri Second.


Le livre est connu. Il est référencé dans la bibliographie des livres de montagne de Jacques Perret : « Un superbe album de dessins. Ouvrage rare. » Maintenant, essayez de trouver des informations sur Eugène Tézier. Avant 2013, il n’y avait rien sur lui. A l’époque, j’avais entamé des premières recherches, qui m’avaient conduit à publier une première page le concernant dans laquelle je ressemblais quelques informations, dont la date et le lieu de sa naissance et une première ébauche de bibliographie. Cela m’avait permis d’être en contact avec deux lecteurs du blog, dont un amateur-collectionneur de Tézier, qui m’avaient fourni quelques éléments complémentaires. Ils m’avaient en particulier transmis les rares articles le concernant.

Depuis, j’avais laissé le sujet en sommeil. L’achat récent de dessins originaux d’Eugène Tézier m’a motivé pour reprendre mes recherches et les mettre en forme. J’ai donc rédigé une notice biographique d’une trentaine de pages dans laquelle je rassemble tous les éléments que j’ai collectés depuis à peu près 10 ans. Pour accéder à cette notice, sous forme de PDF, suivez ce lien : Eugène Tézier, 1864-1940.
 
Comme on peut le constater en tapant "Eugène Tézier" sur Google, il est incontestable que je suis le spécialiste mondial  (si j'ose dire) de cet illustrateur, suprématie qui ne fait d’ailleurs l’objet d’aucune concurrence. Je conforte cette première place en publiant aujourd’hui cette notice.



Trêve de plaisanterie. J'espère que ce travail suscitera de nouveaux échanges fructueux sur cet illustrateur. Je me ferai alors un plaisir de publier une deuxième version de cette notice.

Pour finir, il est souvent habituel que le biographe d’un personnage sorti de l’ombre finisse par surévaluer la personnalité sur laquelle il a travaillé. Je ne pense pas être tombé dans ce travers. Il faut reconnaître qu’Eugène Tézier reste un illustrateur de second rang, que les œuvres que j’ai découvertes ne permettront malheureusement pas de hisser parmi les meilleurs. Ceci étant dit, je garde une admiration sans réserve pour la qualité des dessins à laquelle il est arrivé dans Nos Alpins. Cette qualité, malheureusement, n’a guère eu de suite, comme vous le découvrirez en lisant la notice.


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(08/01/2020 15:56)
Dessins originaux d'Eugène Tézier"

Eugène Tézier est un illustrateur essentiellement connu pour un bel ouvrage à la gloire des chasseurs alpins : Nos Alpins, paru en 1898. J'ai déjà eu l’occasion d'en parler sur ce blog (cliquez-ici). Cela m'avait alors conduit à essayer d'en savoir plus sur lui. A l'époque, en mars 2013, il n'existait aucune information disponible sur Internet ni dans les principaux ouvrages sur le Dauphiné. Il n'a pas d’entrée dans le Dictionnaire des peintres, sculpteurs et graveurs du Dauphiné, d'Yves Deshairs et Maurice Wantellet. Lorsque j'ai entrepris de décrire Nos Alpins sur mon site, j'ai fait des premières recherches qui m'ont permis de trouver sa date de naissance, d'esquisser l’histoire de sa vie et de rassembler quelques informations sur ses productions. Je lui ai consacré une page sur mon site : Eugène Tézier. J'ai travaillé depuis et je ferai bientôt part du résultat de mes recherches.

Récemment, lors d’une belle vente consacrée la bibliothèque cynégétique du Verne, j'ai déniché un exemplaire particulier de La Chasse alpestre en Dauphiné. J'ai déjà eu l’occasion de parler de ce livre dont il existe deux éditions principales. L'édition originale de 1874, qui reprend les textes parus dans Le Courrier de l’Isère, en 1873 et une belle édition illustrée par Émile Guigues en 1925 Je n'ai jamais eu de sympathie particulière pour la chasse et l'esprit qui l’accompagne. J'ai pourtant aimé ce texte bien écrit et bien enlevé d'Alpinus, autrement dit d'Henry Faige-Blanc.

L’exemplaire que j'ai acquis se distingue car il contient 14 planches en pleine pages, de dessins à la plume d’Eugène Tézier qui ont été spécialement réalisés pour illustrer cet ouvrage. Ce sont des dessins originaux, qui étaient peut- être prévus pour une édition qui n'a jamais paru. Eugène Tézier avait aussi commencé à ornementer les têtes de chapitre. Il n'a terminé que celle concernant l'ours et n’a fait qu’esquisser celles consacrées au chamois et au coq de bruyère.

Chacune des planches correspond à un passage du texte. J'en ai sélectionné 6, parmi les 14, avec les textes ou les sujets associés :

Vialy partant à la chasse à l’ours : « D'arbre en arbre il avance, n'occupant jamais le terrain conquis par son œil et par son oreille. Si l'ours est à sa besogne, c’est-à-dire en mouvement, l'œil et l'oreille bien vite le montrent à Vialy ; l'oreille avant l’œil, tant est perceptible le moindre bruit dans le silence sans pareil et sous la voûte sonore des sapinières. »



« Vous descendez à cinquante mètres plus bas ramasser votre conquête, et lorsqu'éperdu de joie, dans la paume de votre main bien étendue, vous soupesez sa masse charnue et pantelante, du coin de l'œil, vous voyant ainsi en proie au saint délire, Saint-Hubert, n’en doutez pas, essuie une larme furtive. »
 


« Donc midi sonnant au pays-plat, Gavet pêchait au bord du lac Claret, couché mollement à l'entrée de sa case, son semblon étendu devant lui, dans l'eau profonde. Il fumait son chiboucque, et du pouce et de l'index, il lançait sur onde, comme boulettes de pain, les sauterelles rouges des pâturages élevés, petasia montana. »
Gavet est le surnom du chasseur qui est en quelques sorte le héros de ces chroniques.



Illustration de l'« homélie » prononcée par Gavet, qui est introduite par ce texte :
« Pour les Alpins, quand ils ont à leur tête leur cardinal Gavet, gravir un Som, c'est synonime [sic] d'aller au Prêche. Gavet est l'homme du sermon sur la montagne, et je ne connais pas d'exemple qu'il soit parvenu jamais sur un pic, sans y prononcer une homélie. »



« Or, notre tour étant venu, nous fûmes mis en cellule, avec mission de manufacturer cette œuvre d'art. De la cellule de Maurice sortit un morceau qui débutait ainsi que suit :
"Etiam si omnes, ego non !
Et je vous attendais ici, ô Harmodius et Aristogiton !
Assez longtemps, — fieffés assassins que vous êtes, gibier de Toulon, de Rochefort et de Cayenne, — assez longtemps vous avez encombré l'Histoire de votre gloire nauséabonde !
Que des professeurs idiots, relaps de Saint-Robert, imposent votre louange à des moutards crétinisés !"
"Moi !"
"Toi !" hurla le père Reynaud apoplectique.
Et Maurice vola, — presque en éclats, — de son banc au milieu de la cour, — par la fenêtre.
C'est qu'en même temps qu’il était doué des fureurs d'Apollon, le père Reynaud avait hérité du torse d'Hercule. »



Dernier dessin du livre qui, à la différence des autres, n'illustre pas un passage particulier. Il représente le chasseur au repos. Ce personnage masculin, avec une barbe en pointe et une moustache à la Napoléon III, sera souvent repris par Eugène Tézier dans son œuvre, comme sur la page de titre de Nos Alpins. Je suis tenté d'y voir un autoportrait.



Quant à l’illustration des têtes de chapitre, celle de l'ours est la seule complète, qui nous fait regretter qu'il n'ait pas persévéré pour les autres. Nous devons nous contenter des esquisses.



Cet exemplaire a appartenu au grand bibliophile dauphinois Eugène Chaper, qui l'a fait relier par un des plus grands relieurs de l'époque, Chambolle-Duru. Il y a mis son ex-libris manuscrit et cette annotation : « Exemplaire illustré de 17 dessins originaux par les frères Tezier (de la Drôme) ».


En parlant des frères Tézier, il fait référence à Eugène Tézier et à son frère jumeau Jean. Pourtant, les dessins ne doivent être que de la main d'Eugène, car Jean se consacrait plus à la poésie et à la littérature qu'au dessin. On peut dater ces dessins de la période 1887/1889, c'est à dire entre le moment où Eugène Tézier commence à percer comme dessinateur de presse et avant les décès de son frère Jean, en 1889 et d'Eugène Chaper en 1890.

Cela fait de cet exemplaire un bel objet bibliophilique. L’intérêt est surtout de nous faire découvrir des dessins orignaux d’Eugène Tézier qui n’était auparavant connu que par ses publications, soit comme dessinateur de presse, soit comme illustrateur. Cela m'a donné envie d'en savoir plus sur lui, mais de cela, je vous parlerai plus tard.

J’ai la chance d'avoir une autre œuvre originale d'Eugène Tézier, un petit tableau à l’huile représentant la gare de Briançon. Sauf erreur de ma part, c’est la première fois qu'un tableau d’Eugène Tézier refait surface (il y en a sûrement d’autre dans des collections privées). C'est d’autant plus important que lui-même préférait se qualifier de peintre, avant tout, ce qui est paradoxal pour quelqu'un dont on ne connaît aucune autre peinture, à l'exception de celle-ci. 


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(23/12/2019 15:15)
ABCDauphiné - Dictionnaire historique et patrimonial"

J'ai eu le plaisir de contribuer à ce nouvel ouvrage publié par les Presses Universitaires de Grenoble (PUG), pour lequel j'ai rédigé une quinzaine de notices.



ABCDauphiné
Dictionnaire historique et patrimonial

sous la direction d'Olivier Cogne et de Jean Guibal.

Tout ce que vous souhaitez savoir sur le Dauphiné se trouve dans cet ouvrage : de Bayard aux stations de ski, en passant par la route nationale 7 et la recette du fameux gratin dauphinois!
À travers plus de 400 entrées alphabétiques illustrées, l’ABCDauphiné offre l’essentiel à connaître sur cette province. Il propose une balade dans le temps et l’espace de cette ancienne région, correspondant aujourd’hui aux départements de la Drôme, des Hautes-Alpes et de l’Isère.
Personnalités incontournables, sites et bâtiments remarquables, événements, grandes inventions : l’ABCDauphiné convie le lecteur à la redécouverte de l’histoire et du patrimoine de ce territoire, pour le plus grand plaisir de ses habitants comme des centaines de milliers de touristes qui le visitent chaque année.


Les auteurs : Éloïse Antzamidakis, Jean-Marc Barféty, Philippe Bouchardeau, Catherine Briotet, Anne Cayol-Gerin, Benoît Charenton, Olivier Cogne, Gil Emprin, René Favier, Jean Guibal, Jean-Hugo Ihl, Jean-Gérard Lapacherie, Pierre-Yves Playoust, Christine Roux, Alexandre Vernin

Et les contributions de : Marie-Françoise Bois-Delatte, Yves Chiaramella, Isabelle Fouilloy, Valérie Huss, Louis Jacquignon, Philippe Moustier, Jean-Pierre Pellegrin, Hélène Viallet
Lien vers le site des PUG : https://www.pug.fr/produit/1747/9782706144202/abcdauphine
Vous pouvez télécharger un bon de commande et une présentation en suivant ce lien : cliquez ici.

Parmi les notices que j'ai rédigées, qui concernent toutes les Hautes-Alpes et la montagne, je suis heureux d'avoir eu l'occasion de parler de Paul Guillemin, une personnalité que j'admire particulièrement. La notice est illustrée d'une belle photo où on le voit, âgé, devant son chalet de Cervières :



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(09/12/2019 14:12)
Salon du Livre alpin de Grenoble 2019"

Je serai présent au Salon du Livre alpin qui se tient à Grenoble vendredi 15, samedi 16 et dimanche 17 novembre. J'y serai pour présenter l'ouvrage coécrit avec Jacques Mille et Michel Tailland : Le Massif des Écrins. Histoire d'une cartographie de l'antiquité à l'aube du XXe siècle.

Je vous y rencontrerai avec plaisir. Et n'oubliez pas que c'est une très bonne idée de cadeau de Noël !




 

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(13/11/2019 16:04)
Essais d'Antoine Froment, Grenoble, 1639"

« cinq exemplaires seulement de l'édition originale sont connus aux plus intrépides bibliophiles de notre province »
C'est par ces mots qu'Aristide Albert justifie sa réédition des Essais d'Antoine Froment, en 1868. Depuis peu, j'ai la chance d'appartenir à ces « intrépides bibliophiles » dauphinois, car j'ai réussi à faire entrer un exemplaire dans ma bibliothèque, exemplaire qui ne fait d'ailleurs partie des cinq dont parle A. Albert.



Il s'agit d'un ouvrage paru à Grenoble en 1639 qui est d'abord le récit circonstancié, en 7 journées et 7 semaines, de l'incendie qui détruisit presque entièrement Briançon le 1er décembre 1624. Mais, plus largement, l'auteur, natif de Briançon, a multiplié les chapitres sur de nombreux autres faits concernant sa patrie : Tremblement de terre, Ravage des loups, Sur le passage du Roy [Louis XIII] par le Briançonnois, De la peste, Sur la stérilité des saisons, et la famine, Des avalanches et enfin Du débordement des feux, et des eaux par le Briançonnois. On le voit, les sujets ne manquent pas.

Cet ouvrage a souvent été critiqué comme en témoigne ce florilège de quelques avis : « ouvrage d'une tête exaltée, sans méthode et sans savoir » (Faujas de Saint-Fond), « un essai quelque peu indigeste » (baron Ladoucette), « la rareté [en] constitue le seul mérite. » (Rochas), « fatras d'érudition [...] inintelligible » (Lelong), etc.

Malgré cela, ce livre a plusieurs mérites. D'abord, il s'agit du premier ouvrage imprimé uniquement consacré à Briançon et au Briançonnais, ce qui en fait, en quelque sorte, un « incunable » briançonnais. Il faut attendre plus d'un siècle, en 1754, pour que paraisse le Mémoire historique et critique sur le Briançonnais, de Jean Brunet de l'Argentière. Ensuite, malgré cette érudition envahissante, on peut y glaner de nombreuses informations, qui proviennent d'un témoin oculaire et d'un natif de Briançon. Jacqueline Routier, dans son histoire de Briançon, a su utiliser ce que l'on peut extraire de la « gangue » de citations.

En ces temps où les loups et leur « ravage » - au singulier, chez Antoine Froment, tant les ravages des loups sont comme une plaie - font l'actualité dans nos montagnes, relire ce qu'en dit Antoine Froment montre l'abîme qui sépare la perception moderne, même si elle est loin de faire l'unanimité, et ce qu'il en rapporte. Les loups sont un fléau. A la différence d'aujourd'hui - j'imagine que les loups ont aussi vu évoluer leur comportement-, ils n'hésitaient pas à s'attaquer aux personnes. Nos loups actuels, en ne mangeant que des brebis, sont des petits joueurs :
Le Sergent d'une Compagnie se retirant à cheval sur le tard, trouva prés des maisons de l'hameau de Font-Chrestiane, le Loup couché à travers du chemin, qui l'assaillit si furieusement, que sans le soudain secours il n'avoit dequoy avec son espée eviter d'estre la curée de cet ennemy. Une pauvre fille de Queyras en fut la proye la nuict au devant de la Ville: on la recognut le lendemain par sa tresse blonde: l'epicrane et tel autre reliquat de la teste qu'encor fraiz et sanglant tout un monde fut voir. On trouva mesme dans le ventre d'un Loup mort ou tué de-çà le Mont-Genévre, le doigt d'un enfant. [...]
Encor le plus beau jour de Juin 1629, un jeune Loup descendant du Bois de Ville à dix heures du matin, passa au conspect de plusieurs à un traictde mousquet d'icelle, tout proche du sieur Procureur du Roy et mon Cadet, qui s'y promenoient : de-là descendit prés des servantes qui lavoient à Fontrogiere, allat mettre en deroute par la campagne des femmes qui sarcloient, et luy crirent, Au Loup ; et fut veu traverser la Riviere gaignant la montée, à la poursuite d'un troupeau de brebis effarouchées, par le costé opposite de la vallée. (p. 276, de la réédition de 1868).
Ce court texte est un bon exemple de ce que l'on peut trouver dans ce livre. Dans ce chapitre sur les loups, Antoine Froment n'abuse pas de cette érudition qui rend certains passages quasiment illisibles.

Pour ceux qui voudraient lire l'ouvrage, il est accessible sur GoogleBooks dans la réédition de 1868 : cliquez-ici.

Pour les amateurs de bibliographie, je me suis aussi penché sur le nombre d'exemplaires et sur l'histoire de l'impression.

Le nombre d'exemplaires donné par Aristide Albert doit être revu à la hausse. Pour ma part, j'en ai compté une dizaine, y compris celui-ci, dont cinq dans des bibliothèques publiques. Dans la page que j'ai consacrée à cet ouvrage, je détaille les exemplaires identifiés. Je suis bien entendu intéressé par tout autre exemplaire encore inconnu.

Même s'il ne porte aucune mention de possesseur, je pense que mon exemplaire est celui d'Eugène Chaper, le célèbre bibliophile dauphinois. Comme d'autres ouvrages de même provenance, il a été relié par Pagnant.


Je me suis aussi penché sur l'histoire, toute conjecturale, de l'impression de cet ouvrage. Il faut avoir eu en mains l'ouvrage pour constater qu'il n'a pas été imprimé en une seule fois. Je vous laisse découvrir mon hypothèse.

Lien vers la page sur le site Bibliothèque dauphinoise : Essais d'Antoine Froment
J'ai aussi mis à jour la page consacrée à la réédition de 1868 : Essais d'Antoine Froment, avocat au Parlement du Dauphiné.

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(25/10/2019 18:22)
Le massif des Écrins. Histoire d'une cartographie de l'Antiquité à l'aube du XXe siècle, Jacques Mille, Jean-Marc Barféty, Michel Tailland"

Je suis heureux d'annoncer la parution récente aux Éditions du Fournel de : Le Massif des Écrins. Histoire d'une cartographie de l'antiquité à l'aube du XXe siècle, coécrit avec Jacques Mille et Michel Tailland.


Extrait de la préface de Philippe Bourdeau
Il est particulièrement réjouissant de voir comment trois fins connaisseurs du massif des Écrins croisent leurs compétences pour relire l'histoire de sa cartographie de façon aussi accessible et vivante, sans rien céder sur l'érudition. À partir d'un corpus exhaustif, finement mis en perspective et évalué à l'aune des évolutions techniques et politiques, cette revue est une généalogie de noms évocateurs, que le lecteur retrouvera ou découvrira au fil des pages : Peutinger, Jean de Beins, Bourcet, Cassini, Capitaine, État-Major, Prudent, Guillemin, Duhamel...
Derrière ces têtes d'affiche du Who's Who de la cartographie des Écrins, de nombreux protagonistes directs ou indirects traversent l'ouvrage : militaires en mission, alpinistes en passion, écrivains, naturalistes, géologues...Chacun à leur façon, ils contribuent à perfectionner la connaissance topographique et la précision cartographique de la représentation de la montagne...
En retraçant l'évolution du métier de cartographe depuis les premiers « arpenteurs » et « cosmographes » jusqu'aux ingénieurs-cartographes, Jacques Mille, Jean-Marc Barféty et Michel Tailland nous rappellent que la cartographie en montagne est non seulement une affaire de techniques topographiques, mais aussi de marche et d'ascensions...
En cela, l'ouvrage est aussi une relecture de l'histoire de l'alpinisme à travers la cartographie, qui accompagne systématiquement l'exploration du massif...
Le travail de compilation, d'illustration et de discussion proposé par les auteurs et l'éditeur est d'une grande précision, avec de nombreux zooms détaillés sur des secteurs emblématiques du massif. L'iconographie est aussi riche qu'abondante, et confirme si besoin est que les cartes sont de véritables objets oniriques et esthétiques, voire artistiques. Les encres et lavis du 18ème siècle sont un régal, auxquels n'ont rien à envier certains dessins à la plume, à l'encre et à l'aquarelle du 19ème siècle ! Pour valoriser cette matière, la démarche des auteurs est très didactique. Elle est fondée sur des séries de questions-réponses, avec tout ce qu'il faut de définitions, de rappels historiques et techniques mais aussi de schémas explicatifs pour transmettre au lecteur les fondamentaux de la culture cartographique...
À cet égard... les géographes et les cartographes ont bien contribué à inventer les Alpes !
L'ouvrage contient 2 parties :
- De l'Antiquité à la fin du XVIIIe siècle.
- Du milieu du XVIIIe siècle à la fin du XIX siècle.

La répartition des contributions est la suivante. Jacques Mille a rédigé la première partie. Sur le même sujet, il est l'auteur de Hautes-Alpes. Cartes géographiques anciennes (XVe - mi XIXe siècle) et Le Dauphiné, une représentation des territoires à partir des cartes géographiques anciennes (voir les message sur ce blog ici et ici). Dans la deuxième partie, Michel Tailland a assuré la rédaction du deuxième chapitre : Les levés de la la carte d’État-Major (1828-1866) : le massif des Écrins enfin révélé au public, dans la continuité de son ouvrage coécrit avec Michèle Janin-Thivos : Des ascensions oubliées ? Les opérations de la carte d’État-major de Briançon au XIXe siècle (voir ce message sur ce blog).

J'ai pris en charge les deux autres chapitres de cette deuxième partie respectivement consacrés à :
- La découverte du massif, 1750-1855.
- De la carte d’État-Major à la fin du XIXe siècle : les cartes des alpinistes.

Cela poursuit ce que j'ai déjà eu l'occasion de présenter sur mon site : Découverte du Haut-Dauphiné - Topographie et exploration du massif des Ecrins, mais de façon plus complète et plus structurée. En particulier, j'ai développé le travail novateur et pionnier d'Adolphe Joanne et Élisée Reclus (1860-1863), dont je n'ai jamais parlé et que j'ai souhaité mettre en valeur, voire faire connaître, tant ils ont été éclipsés par les Anglais (Whymper, Coolidge, Tuckett) plus habiles à mettre en avant leurs réalisations. Je publie en particulier cette première carte du massif parue dans une revue grand public, Le Tour du Monde, en décembre 1860. Certes, la carte n'est ni très belle, ni très fidèle, mais elle fournit pour la première fois les situations et les altitudes exactes des principaux sommets (sauf la Meije !) :


J'ai aussi reproduit ces deux très belles cartes du massif, celle relativement courante et connue du capitaine Prudent de 1874 :


et celle plus rare de Tuckett de 1873 (je pense qu'il s'agit de la première reproduction de cette carte dans un ouvrage en français) :


Vous pouvez commander l'ouvrage sur le site des Éditions du Fournel, ainsi que sur les sites marchands habituels (FNAC, Amazon, etc). Il peut aussi être commandé auprès de votre libraire.


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(18/05/2019 14:58)
Relique"

J'ai eu l'occasion de trouver ce modeste carnet. Il s'agit d'un recueil des cinq cartes du Haut-Dauphiné, établies et dessinées par Henry Duhamel pour l'édition du Guide du Haut-Dauphiné, en 1887.

L'amateur qui a créé ce carnet à son usage n'a pas retenu la première carte de l'ensemble (Carte I :  Carte des voies d'accès principales). On y trouve la  Carte d'ensemble du massif, numérotée II, et les quatre cartes détaillées couvrant l'ensemble du massif.

L'ensemble est relié sous un petit cartonnage amateur, avec des plats en carton, aux coins arrondis. L'ensemble est tenu par une bande toilée au dos. Une étiquette manuscrite sur le premier plat de couverture indique : « Oisans. Cartes Duhamel ». La taille du carnet est de 178 x 110 mm.


Son état actuel montre que ce carnet a souvent été utilisé. Une annotation sur le premier contre-plat nous renseigne sur les propriétaires successifs.


Le dernier propriétaire est un certain Grigor Djanaghian, sur lequel on ne trouve quasiment aucun renseignement. Il est passé à l'IEG de Grenoble. Il semble avoir fait carrière dans l'industrie du phosphate.

Surtout, l'annotation manuscrite nous renseigne sur le premier propriétaire, qui a établi ce petit carnet à son usage : « Exemplaire ayant appartenu à mon Maître Georges Flusin (1872-1954) qui m'en a fait cadeau en 1925 »

Né à Dole (Jura) le 13 septembre 1872 et décédé à Grenoble le 12 juin 1954, Georges Flusin a été professeur à la Faculté des sciences de Grenoble et fondateur et directeur de l'Institut d'électrochimie et d'électrométallurgie. Sa thèse soutenue en 1907 devant la Faculté des Sciences de Paris portait sur : Du Rôle chimique de la membrane dans les phénomènes osmotiques. Il est l'auteur d'une synthèse sur l'électrothermie appliquée.

Mais ce n'est pas pour cela que Georges Flusin nous intéresse. Il a été membre et président de la Société des Touristes du Dauphiné. Il a surtout appartenu à la Commission internationale des Glaciers et a été membre de la Commission française des Glaciers

A l'initiative de deux professeurs de l'Université des Sciences de Grenoble (W. Kilian et J. Collet), la Société des Touristes Dauphinois organisa un service d'observation méthodique des glaciers du Dauphiné et de l'enneigement du massif : Une enquête méthodique sur les glaciers du Dauphiné. Projet adopté par la Société des Touristes du Dauphiné, sur la proposition de MM. W. Kilian et J. Collet, professeurs à la faculté des sciences de Grenoble

A ce titre, Georges Flusin a mené avec Charles Jacob, Wilifrid Killian et Jules Offner, des missions d'observations des glaciers du massif des Écrins (le Haut-Dauphiné de l'époque). Il était plus particulièrement en charge des photographies.

Les premières observations firent l'objet d'un ouvrage paru en 1900 cosigné par Wikfrid Kilian et Georges Flusin : Observations sur les variations des glaciers et l'enneigement dans les Alpes dauphinoises, organisées et subventionnées par la Société des Touristes du Dauphiné, sous la direction de W. Kilian et avec la collaboration de G. Flusin, de 1890 à 1899, et publiées sous le patronage de l'Association française pour l'avancement des Sciences, Grenoble, 1904.

Ensuite, il a cosigné des Observations glaciaires dans le Massif du Pelvoux, recueillies en Août 1903. Ces observations ont été menées lors d'une mission dans les Alpes du Dauphiné du 20 au 28 août 1903, par G. Flusin, accompagné de Ch. Jacob et J. Offner. G. Flusin s'est chargé des prises photographiques. Ch. Jacob a rédigé le compte-rendu de la mission. J. Offner a fait des observations botaniques.

Il est l'auteur d'un Plan du glacier noir et du Glacier Blanc, levé en 1904. Échelle 1:10.000e. qui accompagnait une Étude sur le glacier Noir et le glacier Blanc dans le massif du Pelvoux parue dans l'Annuaire de la Société des Touristes du Dauphiné, en 1904.

Nous savons aussi par André Allix qu'Henry Duhamel a utilisé les informations fournies par Georges Flusin pour les modifications qu'il a apportées aux cartes du Haut-Dauphiné, dans l'édition de 1909.

On voit donc que ce modeste carnet a accompagné un fidèle excursionniste et savant, dans ses observations du massif des Écrins. Il en prend d'autant plus de valeur.

Les cartes d'Henry Duhamel, qui forment ce carnet, ont initialement paru dans le Guide du Haut-Dauphiné, en 1887 (voir ici pour plus de détails) :






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(05/04/2019 21:12)
Paul Colomb de Batines (1811-1855)"

Comme le savent mes lecteurs, il m'arrive régulièrement de me prendre de passion pour des personnages un peu secondaires de l'histoire dauphinoise. C'est ainsi que Paul Colomb de Batines a occupé quelques heures de ma vie de bibliophile dauphinois ces derniers mois. J'ai parlé de lui au tout début de l'année, dans cet "éloge de l'inachèvement" que je lui ai consacré. Mais j'avais l'impression d'être incomplet. 

Colomb de Batines et ses amis au café, vers 1835.
Tableau anonyme, Musée de l'Ancien Évêché, Grenoble.
Tableau donné à la Bibliothèque de Grenoble par Mlle E. Richardson, de Florence, vers 1929.

J'ai donc mené deux tâches :

D'abord, j'ai entrepris d'écrire une notice biographique de Paul Colomb de Batines plus complète que toutes celles que l'on peut trouver. Cet homme a eu 3 vies. Né en 1811, de 1829 à 1841, il s'est essentiellement consacré à la bibliophilie et à la bibliographie dauphinoises. Ensuite, de 1841 à 1844, il a été libraire et éditeur à Paris. Sur cette période, je vous renvoie à la notice consacrée à son activité de libraire parisien, comme successeur de Joseph Crozet, sur le site Histoire de la bibliophilie : cliquez-ici. Enfin, de 1844 jusqu'à son décès en 1855, il vit à Florence où il devient le bibliothécaire d'un seigneur italien de Florence. Il se consacre alors à la bibliographie de l'œuvre de Dante, ce pour quoi il est aujourd'hui le plus connu. Je me suis évidemment consacré à la première partie de sa vie. Il est toujours difficile de se faire une idée de la personnalité d'un homme né il y a 200 ans, sur lequel peu de contemporains se sont exprimés. J'aime chez lui ce goût un peu maniaque de la bibliographie, cet art de la précision pour des points de détail de l'histoire des livres, comme si cela avait vraiment de l'importance. J'aime aussi cette forme d'inachèvement dans tout ce qu'il fait, cette difficulté à faire aboutir les projets ambitieux qu'il avait et dont je vais bientôt parler.
Cette biographie est accessible en suivant ce lien : Paul Colomb de Batines.

L'autre tâche était tout simplement d'établir une bibliographie des écrits de Paul Colomb de Batines. Si, pour les ouvrages, la bibliographie d'Adolphe Rochas était presque complète, elle méritait d'être corrigée pour les quelques erreurs que l'on y trouve. En revanche, la bibliographie de ses articles restait à faire. Je ne pense pas avoir identifié tous ses articles, car il a beaucoup écrit, souvent des notices courtes ou des correspondances, qu'il n'est pas toujours facile de trouver. J'y ai ajouté les réimpressions qu'il a commandées. Mais, ce qui est plus inhabituel dans une bibliographie, je me suis intéressé à ses nombreux projets. Paul Colomb de Batines a souvent annoncé des publications à venir, allant même jusqu'à présenter comme étant sous presse des ouvrages qui n'ont jamais paru. Cela a provoqué l'ironie d'Adolphe Rochas : « ce projet, comme une foule d'autres de Colomb de Batines, n'a pas eu de suite. » Je souhaitais leur rendre hommage.
Cette bibliographie est accessible en suivant ce lien : Bibliographie de Paul Colomb de Batines.

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(18/03/2019 21:43)
Un Dictionnaire des expressions vicieuses de 1810, par l'abbé Rolland"

L'esprit de la Révolution était de consolider la France comme une Nation une et indivisible. Pour cela, il était indispensable que cette unité se concrétise dans une langue codifiée, parlée par tous, au-delà des différences régionales. Dans les Hautes-Alpes, il s'agissait de répandre et de généraliser l'usage d'une langue française débarrassée de tout régionalisme. Il s'agissait aussi pour la bourgeoisie issue de cette Révolution, qui devenait la nouvelle classe dirigeante de la France, de se distinguer des classe populaires par un usage épuré et correct du français, débarrassé des « expressions vicieuses » locales (nous parlerions aujourd'hui d'expressions incorrectes), souvent « polluées » par le patois. C'est dans cet esprit que l'abbé Rolland fait paraître ce dictionnaire en 1810 :
Dictionnaire des expressions vicieuses et des fautes de prononciation les plus communes dans les Hautes et les Basses-Alpes, accompagnées de leurs corrections,
D'après la V.e Édition du Dictionnaire de l'Académie.
Ouvrage nécessaire aux jeunes personnes de l'un et l'autre sexe, aux instituteurs et aux institutrices, et utile à toutes les classes de la Société.
Il est sorti des presses de Joseph Allier, imprimeur de la préfecture et de la Société d'Émulation des Hautes-Alpes.


Jean-Michel Rolland est un ecclésiastique né à Gap le 13 février 1745. Élu député du clergé pour Forcalquier en 1789, il a siégé à la Constituante. Sa courte carrière législative terminée, il est commissaire du Directoire exécutif du canton de La Motte du Caire sous la Révolution. En l'An V, le 9 décembre 1796, il est nommé professeur de Grammaire à l’École centrale de Gap, puis directeur du collège. Il est mort à Gap le 29 avril 1810. Il était membre de la Société d'Émulation des Hautes-Alpes et directeur du Journal d'Agriculture qui a paru de 1804 à 1814. Il a été correspondant de l'abbé Grégoire pour son enquête de 1790 sur l'emploi de la langue française. Il est l'auteur de nombreux hymnes, d'un plaidoyer en faveur de Gap comme chef-lieu des Hautes-Alpes, mais son ouvrage le plus important est celui-là.

Ce Dictionnaire répond à un appel de la Société d’Émulation des Hautes-Alpes qui, en 1807, se proposait de décerner au 1er février 1809 un prix de 300 francs pour un ouvrage aidant à corriger les fautes de français les plus communes. Il obtint ce prix.


Sans que cela soit dit, il est très proche de l'esprit et de la forme d'un ouvrage similaire publié par J.-F. Michel en 1807 pour la Lorraine : Dictionnaire des expressions vicieuses usitées dans un grand nombre de départemens, et notamment dans la ci-devant Province de Lorraine ; accompagnées de leur correction, d'après la V.e Édition du Dictionnaire de l'Académie, avec un supplément à l'usage de toutes les écoles. Comme on le voit, il en a même repris le titre presque mot pour mot.


L'abbé Rolland justifie son ouvrage en rappelant que le patois, encore parlé « exclusivement » par « les dernières classes de la société dans le midi de la France », oblige « les hommes même instruits, à l'employer à leur tour dans beaucoup d'occasions », ce qui est « la première cause de ces vices de langage si communs dans le discours et même dans la parole écrite ». Ce dictionnaire veut y remédier. Il contient d'abord les fautes de français propres aux habitants des Hautes et Basses-Alpes, c'est à dire celles qui sont dues à l'influence du patois sur la langue française. Un certain nombre de mots patois sont repris avec l'explication de leur sens en français. Néanmoins, la majorité des fautes contenues dans ce dictionnaire sont celles qui sont communes à tous les Français. Cela enlève un peu de l'intérêt de cet ouvrage pour la connaissance de la langue et des tournures propres aux Hauts-Alpins au début du XIXe siècle.

L'auteur est mort au moment de la parution de ce Dictionnaire, en avril 1810. L'éditeur Joseph Allier, à la suite du succès de la première édition, publie une seconde édition, pensant « rendre hommage à la mémoire de ce savant ». Constatant que ce dictionnaire s'est vendu non seulement dans les Hautes et Basses-Alpes, mais aussi en Provence et Languedoc, il ne craint pas « de changer une partie de cet ancien titre, en le généralisant et en l'appliquant aux départemens méridionaux. ». D'où le nouveau titre de cette seconde édition : Dictionnaire des expressions vicieuses et des fautes de prononciation les plus communes dans les Départemens Méridionaux, accompagnées de leurs corrections. Hormis ce changement et la suppression de la dédicace au préfet Ladoucette qui avait depuis quitté le département, cette seconde édition est en tout point identique à la première édition. Ce sont probablement les mêmes matrices qui ont servi à l'imprimer, voire, il s'agit de la récupération des cahiers de la première édition, avec un titre et un avertissement différents. Les Fautes à corriger sont les mêmes que celles de la première édition, signe que le texte n'a été ni repris, ni corrigé.

L'exemplaire que je présente aujourd'hui et qui vient de rejoindre ma bibliothèque est celui de l'imprimeur Joseph Allier. Il contient d'abord l'ouvrage de J.-F. Michel, pour la Lorraine, puis celui de J.-M. Rolland pour les Hautes et Basses-Alpes. Autant ce dernier est en état parfait, autant le premier porte des traces de manipulations : page de titre déchirée, qui a été doublée, déchirures, dont certaines ont été réparées, coins cornés sur les premières pages, qui ont été redressés, tâches. Cela laisse penser qu'il s'agit de l'exemplaire de travail de J.-M. Rolland, qui a été relié par l'imprimeur avec son édition du dictionnaire de Rolland.

Sur le premier contre-plat, il porte l'étiquette de Joseph Allier.


Cet ex-libris a été imprimé sur un papier de remploi, car on distingue, au verso, les caractères « des Domaines » et un filet imprimé.

Joseph Allier, né à Grenoble le 15 novembre 1763, est le frère cadet de Joseph Allier, imprimeur et libraire de Grenoble. A la fin de 1790, il est appelé à Gap comme imprimeur. Il le restera jusqu'à son décès en 1843. Il a été membre de la société d’Émulation sous l'Empire. Il a été membre du conseil municipal de Gap à partir de 1800 et maire de la ville de 1831 à 1834. Il est mort le 30 mai 1843. Son fils Alfred lui a succédé, jusqu'à la cession de l'imprimerie à Delaplace en 1849.

La bibliothèque de Joseph Allier a été donnée à la Bibliothèque Municipale de Gap en 1980, formant le fonds Allier-Tanc-Tessier qui contient 2 380 livres et brochures, du XVIe au XXe siècle. Cet ensemble est composé pour l'essentiel des ouvrages publiés par la famille Allier comme imprimeurs. Pour cela, les ouvrages de cette bibliothèque sont rares sur le marché.

Cet exemplaire a appartenu au libraire, expert et bibliophile Jacques d'Aspect, de Marseille, dont la bibliothèque a été dispersée cette semaine. Il avait été l'expert de la vente des livres de Me Émile Escallier en 2002.

Après la parution de ce billet, un lecteur du blog m'a transmis l'étiquette/ex-libris de sa librairie :


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(25/02/2019 07:04)
Libraires hauts-alpins dans la France des Lumières"

Robert Darnton est un historien américain du livre qui étudie depuis plusieurs décennies l'histoire de la diffusion du livre en France sur la période 1770-1785. Il s'appuie sur les riches archives de la Société Typographique de Neuchâtel (STN), une maison d'édition suisse, active entre 1769 et 1789, spécialisée dans la contrefaçon de livres, dont elle assurait ensuite la diffusion à travers la France. Il a publié plusieurs ouvrages, dont Édition et Sédition. L'univers de la littérature clandestine au XVIIIe siècle, en 1991, que j'ai évoqué ici.

Il vient de publier un nouvel ouvrage, toujours fondé sur l'exploitation des archives de la STN : Un tour de France littéraire. Le monde des livres à la veille de la Révolution, Gallimard, coll. « Essais », 2018.


Cet ouvrage se fonde sur le journal de voyage d'un commissionnaire de la STN, Jean- François Favarger, qui, de juillet 1778 à  novembre 1778, a fait un tour de France des libraires :

Carte de l'itinéraire de Jean-François Favarger, juillet-novembre 1778
Source : www.robertdarnton.org/literarytour.

L'intérêt majeur de ce livre est qu'il nous offre une exploration de l'intérieur du monde de la librairie à la fin du XVIIIe siècle. On aborde la problématique du transport des livres, avec la délicate question de l'entrée en contrebande des balles de livres à la frontière française, dans le Jura. On croise ainsi des trafiquants, qui font le relai entre la Suisse et la France, en s'appuyant sur des voituriers qui prennent le risque de transporter des marchandises interdites. On touche du doigt le poids de la corruption aussi bien au niveau de la frontière que des chambres syndicales du livre qui devaient contrôler les balles de livres, à Lyon, Dijon, Besançon, etc. Durant son périple, Favarger doit recueillir des informations sur les libraires des villes qu'il explore, leur proposer le catalogue de la STN, essayer d'en obtenir une première commande, et, pour ceux qui sont déjà en relation avec la STN, il doit recouvrer les créances, prendre de nouvelles commandes. On croise toutes sortes de libraires, tant par l'importance que par l'honnêteté et la fiabilité. Ce peuvent être un libraire installé, comme Duplain, à Lyon, qui se fait lui-même éditeur d'une contrefaçon de l'Encyclopédie ou un libraire protestant, comme Gaude à Nîmes, notables dans leur ville. Ce sont les libraires d'Avignon, eux-mêmes éditeurs protégés par le statut particulier du Comtat Venaissin. Ce peut être aussi Malherbe, qui n'est pas à proprement parler un libraire, mais plutôt la tête de pont et le fournisseur d'un réseau de colporteurs du livres autour de Loudun.

C'est aussi l'occasion de voir la diffusion du livre en France, que ce soit celle des ouvrages autorisés, mais contrefaits, que celle des ouvrages plus ou moins interdits, comme l'Histoire philosophique et politique des établissements et du commerce des Européens dans les deux Indes de l'abbé Raynal ou des livres "philosophiques", qui soit promeuvent des idées comme l'athéisme (d'Holbach), soit sont des libelles diffamatoires (Les ouvrages sur Mme du Barry) ou enfin des ouvrages pornographiques. En définitive, on voit comment chaque libraire se positionne par rapport à ces différents types d'ouvrages et quels sont les risques qu'il est prêt à prendre. Accessoirement, on glane quelques informations sur les clients de ces libraires. Il ne s'agit pas d'une histoire culturelle, car la nature des archives utilisées ne permet pas d'évaluer la réception des différents types d'ouvrage, ni leur influence. C'est plus un livre sur le commerce, où l'on parle beaucoup d'argent, de factures, de dettes, d’échanges, de faillites, et parfois d'embrouilles commerciales

En définitive, c'est un portait passionnant du monde de la librairie dans les années qui ont précédé la Révolutions française.

En plus, avec une générosité dont tous les historiens ne sont pas coutumiers, Robert Darnton a mis à disposition le résultat de ses recherches sur un site Internet. On y trouve en particulier les archives qui lui ont servi pour écrire ses livres : www.robertdarnton.org.

Lors de son périple, Favarger a croisé deux libraires installés à Bourg-en-Bresse, connus sous la raison sociale Robert et Gauthier. Robert Darnton avoue qu'il en sait peu sur ces deux libraires dont il donne néanmoins les prénoms : Jacques Robert et Pierre Gauthier.

Ce dernier nous est bien connu. Il est né le 30 novembre 1746 aux Evarras, un hameau du Noyer, dans le Champsaur (Hautes-Alpes), deuxième fils de Jean Gauthier, dit Belin et d'Agathe Simiand. On ne sait pas comment il est devenu libraire, mais son père et son grand-père étaient déjà identifiés comme marchands. Il y avait probablement une tradition de migration marchande dans cette famille, qui a rendu encore plus facile le départ, probablement temporaire, puis définitif vers Bourg-en-Bresse. En effet, c'est ce Pierre Gauthier que l'on retrouve à Bourg-en-Bresse en 1772. Comme le rapporte Robert Darnton, avec son associé Jacques Robert, ils font faillite en 1778. Mais, cela n'a pas interrompu leur activité car on les retrouve toujours à Bourg-en-Bresse jusqu'à la Révolution.

Page de titre de la seule publication connue de Gauthier et Robert à Bourg-en-Bresse
En 1795 ou 1796, Robert et Gauthier transfèrent leur activité de libraire à Lyon. Installés au 11 de la Grande-Rue Mercière, dans le centre de Lyon, ils développent une activité plus importante d'éditeur. On trouve 8 titres publiés à Lyon sous leur raison sociale Robert et Gauthier, entre 1797 et 1804. Pierre Gauthier a fini sa vie à Belley, dans l'Ain, une des villes que cite Robert Darnton parmi les différentes "succursales" de la librairie de Robert et Gauthier dans les années 1770. Il meurt célibataire le 26 décembre 1820 à 76 ans.

Son frère aîné, Dominique Gauthier (1744-1820) est resté aux Evarras pour exploiter le domaine de ses ancêtres, dans la belle maison familiale.

Maison Gauthier, Les Evarras (Le Noyer)
Les deux autres frères, Jean Baptiste Gauthier, né en 1753, et Antoine Gauthier, né en 1758 suivront les traces de leur frère Pierre. Antoine Gauthier a été commis chez Robert et Gauthier à Bourg-en-Bresse pendants 13 ans, du début des années 1770 - il avait alors 12 ou 13 ans - jusque vers 1783 ou 1784 où il s'installe comme libraire à Lons-le-Saunier. Jean Baptiste Gauthier a lui aussi été libraire à Bourg-en-Bresse. Il s'y marie en 1794. En plein Révolution française, il appellera son premier fils, Washinghton, que le scribe de la mairie a transcrit "Vazinston". Les deux frères Pierre et Jean Baptiste s'installent ensuite à Lyon, alors que le frère cadet Antoine est à Lons-le-Saunier. Ensuite, peu à peu, toute la famille Gauthier se retrouve à Lons où ils font venir un neveu, Jean-Étienne Gauthier (1772-1831), qui sera la souche de la famille Gauthier-Villars, célèbre pour ses éditions. Un des plus célèbres rejetons de cette famille est Henry Gauthier-Villars, plus connu sous le nom de Willy. Pour illustrer cette solidarité familiale, Étienne Gauthier fera lui-même venir Joseph Escalle (1798-1870), le fils de sa sœur Rose Gauthier, qui sera aussi libraire à Lons-le-Saunier. En déroulant l'arbre généalogique de la famille, on trouve une autre nièce d’Étienne Gauthier, mariée à Louis Boyer, de Corps, libraire à Chalon-sur-Saône.


Quant à Jacques Robert, l'identification est plus hypothétique. Lorsqu'on connait la force de l'entraide familiale dans ces réseaux de marchands - et l'histoire que je vient de citer de la famille Gauthier en est un bon exemple -, il est tentant d'identifier Jacques Robert avec ce cousin homonyme de Pierre Gauthier, Jacques Robert né à Poligny (Hautes-Alpes) le 2 mai 1743, fils de Laurent Robert et de Catherine Simiand, la tante de Pierre Gauthier. Ils étaient non seulement cousins, mais très proches en âge, puisque nés en 1743 et 1746. Enfin, autre point de ressemblance, ils étaient tous les deux en position de deuxième garçon dans la famille, devant laisser la primauté à leurs frères aînés. Ce n'est qu'une hypothèse, mais cette piste doit être creusée. Dans la famille Robert, Jacques ne sera pas le seul libraire. Arnoux Millon, né à Poligny en 1781 et neveu de ce Jacques Robert, a été libraire à Lyon au moins depuis 1809 jusqu'à son décès décès en 1829, lorsque sa veuve, Jeanne Marie Couchoud, lui a succédé. Lorsqu'ils se sont mariés, ils étaient accompagnés par Jean André Faure, commis libraire, à Lyon, dont on peut penser qu'il appartenait aussi au réseau des libraires champsaurins. Faure est aussi le nom d'un commis de Robert et Gauthier, à Bourg-en-Bresse. Quant à Jacques Robert, il est décédé célibataire à Poligny, son village natal, le 5 janvier 1820.

Les recherches de Robert Darnton permettent de suivre les commandes des deux libraires entre 1772 et 1783. On constate d'ailleurs qu'ils ne sont pas seulement implantés à Bourg-en-Bresse, mais qu'ils sont aussi présents à Belfort, Belley (dans l'Ain), et Lons-le-Saunier. Le détail des commandes est consultable ici et la synthèse des ouvrages les plus commandés est la suivante :
Source : www.robertdarnton.org/robert,_gauthier,_et_vernarel-books_in_greatest_demand.pdf

Pour illustrer ce que les archives de la STN renferment, cette lettre signée Gauthier, publiée sur le site de Robert Darnton :

Source : www.robertdarnton.org

On peut comparer la signature avec celle de Pierre Gauthier, témoin de la naissance d'une de ses nièces à Lyon en 1797, alors qu'il est libraire rue Mercière :


Pour aller plus loin, lien vers la page (en anglais) consacrée aux libraires Robert et Gauthier, sur le site de Robert Darnton. En bas de page, liens vers les scans des lettres des libraires :
http://www.robertdarnton.org/literarytour/booksellers/robert-gauthier-et-vernarel

Sur la famille Gauthier, je vous renvoie à l'étude que j'avais publiée :
L'ascendance haut-alpine de Willy

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(27/01/2019 09:13)
Paul Colomb de Batines ou l'éloge de l'inachèvement."

Il y a 3 ans, je publiais un long message sur Paul Colomb de Batines, un Gapençais (1811-1855) qui a publié quelques ouvrages de bibliographie dauphinoise entre 1835 et 1840. Je vous renvoie au message que je lui ai consacré : cliquez-ici.

Sa première publication avait été en 1835 une Bibliographie des patois du Dauphiné, dont il avait financé l'impression avec l'argent que lui avaient donné ses parents pour ses études de droit à Aix-en-Provence. Il avait 23 ans. Même si la plaquette est modeste, c'était une belle contribution sur ce sujet qui avait été un peu rapidement traité par Champollion-Figeac en 1809. Sa dernière publication dauphinoise est un Catalogue des Dauphinois dignes de mémoire, imprimé à Gap et publié à Grenoble en 1840. Seule la première partie, contenant les lettres A à J, a paru. C'est ce dernier ouvrage qui m'a inspiré le titre de ce message : « éloge de l'inachèvement ». 



En effet, dans la courte bibliographie de Paul Colomb de Batines, il y a plus de livres inachevés et de projets avortés, que d'ouvrages complets. La Revue du Dauphiné, à laquelle il a collaboré, a dû s’arrêter en 1839 après 2 ans de parution. Les Mélanges biographiques et bibliographiques relatifs à l'histoire littéraire du Dauphiné, en collaboration avec Jules Ollivier, n'a connu qu'un seul tome. Son Annuaire bibliographique du Dauphiné pour 1837, ne va pas au-delà de la 1re année. Pour finir, le Catalogue des Dauphinois dignes de mémoire n'a jamais dépassé la lettre J. Dans la liste des ouvrages « sous presse » annoncés dans ce Catalogue, Paul Colomb de Batines annonce deux ouvrages dont, visiblement, la première feuille d'impression n'est jamais sortie d'aucune presse :
Bibliographie spéciale des ouvrages sortis des presses de la Correrie, imprimerie particulière de la Grande Chartreuse.
Bibliothèque des principaux ouvrages écrits en langue vulgaire du Dauphiné, avec une introduction et des notices biographiques et bibliographiques.

Je suis peut-être trop cruel dans ce message, car ce qu'il nous a laissé est souvent de qualité et il a le mérite, avec Jules Ollivier, d'avoir ouvert des chantiers prometteurs pour l'avenir. Il sera réservé à d'autres de mener à bien les ouvrages de synthèse sur le patois du Dauphiné ou de publier une biographie complète du Dauphiné. D'ailleurs Adolphe Rochas, l'auteur de cette Biographie du Dauphiné de référence, ne se fait pas faute de brocarder cette tendance à l'inachèvement de Colomb de Batines : « Mais ce projet [de Bibliothèque des principaux ouvrages écrits en langue vulgaire du Dauphiné], comme une foule d'autres de Colomb de Batines, n'a pas eu de suite. »

Le faux titre de son Catalogue montre toute l'ambition qui était la sienne :
rien moins que contribuer à une nouvelle biographie générale du Dauphiné.

A la décharge de Paul Colomb de Batines, ses projets communs avec Julles Ollivier étaient probablement trop ambitieux pour les moyens et le temps dont ils disposaient, sans compter qu'ils ne bénéficiaient d'aucun support et que d'une audience limitée. En plus, Paul Colomb de Batines, qui était jeune et adepte des plaisirs de la vie, avait alors besoin d'un mentor, rôle que remplissait bien Jules Ollivier. Malheureusement, celui-ci est décédé brutalement en 1841 et, la même année, obligé de se trouver un moyen de subvenir à ses besoins, Paul Colomb de Batines se résolut à acheter le fonds de librairie de Joseph Crozet à Paris. A partir de ce moment-là, il ne s'occupa plus de choses dauphinoises. Obligé ensuite de se « réfugier » à Florence, il y trouvera enfin les conditions qui lui permirent de donner toute la mesure de son talent, en publiant une bibliographie de référence de l'œuvre de Dante.

Colomb de Batines et ses amis au café, vers 1835
Tableau anonyme, Musée de l'Ancien évêché, Grenoble
Pour aller plus loin, les pages que je consacre à :
Catalogue des Dauphinois dignes de mémoire. Première partie. A–J.
Paul Colomb de Batines

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(08/01/2019 21:19)
La Cloche de Frustelle, de Jean Faure du Serre, 1839"

Avec patience et méthode, je collectionne tous les ouvrages de Jean Faure, dit Faure du Serre. Il est probable que cet auteur ne dise quasiment rien à la plupart de mes lecteurs. C'est un de ces auteurs régionaux qui ont eu une certaine renommée à leur époque, car ils ont su capter l'air du temps. Pour nous qui les lisons presque deux siècles plus tard, ils nous font revivre un monde à jamais disparu.

Né à Saint-Michel-de-Chaillol en 1776, Jean Faure a été notaire à Orcières, chef de bureau de l'administration de la préfecture des Hautes-Alpes, secrétaire général de la préfecture des Hautes-Alpes et, enfin, sous-préfet de Sisteron, avant de prendre sa retraite en 1830 au hameau du Serre dans son village natal, d'où il tire son nom d'auteur. Il est mort très âgé, à 87 ans, en 1863.

J'ai toujours aimé le commentaire d'Adolphe Rochas sur l’œuvre de Jean Faure : 
M. Faure a consacré à la poésie les loisirs que lui laissaient ses prosaïques travaux de notariat et d'administration; peut-être même a-t-il cherché dans cette douce occupation l'oubli des nombreux chagrins qui l'ont éprouvé pendant sa longue carrière. On lui doit, notamment, trois poëmes héroï-comiques dans lesquels il chante de fort plaisants événements, dont le département des H.-Alpes a été le théâtre. Ces poëmes sont écrits avec verve et entrain : il y a de la gaîté, de bonnes saillies, beaucoup plus qu'on ne saurait raisonnablement en attendre d'un homme ayant été notaire et sous-préfet.
Parmi ces poèmes "héroï-comiques", je possédais déjà le Banc des officiers et les deux éditions de la Tallardiade. Il ne me manquait que la Cloche de Frustelle, pour compléter ma  collection. Grâce à la vente de la Bibliothèque dauphinoise de Haute Jarrie, du 14 décembre dernier, un modestes mais sympathique exemplaire de la première édition de 1839 vient de rejoindre ma bibliothèque :



En résumé, il s'agit d'un conflit villageois entre les habitants de Pont-du-Fossé (hameau de Saint-Jean-Saint-Nicolas, dans le Champsaur) et le curé de Saint-Nicolas qui, avec l'aide de ses paroissiens, est allé détacher la cloche du Panelle de Frustelle, pour la placer dans sa nouvelle église au hameau des Reynauds (autre hameau de Saint-Jean-Saint-Nicolas). Jean Faure excelle à peindre cette guerre picrocholine entre habitants, qui alla, dans ce cas, jusqu'à un procès devant le tribunal  d'Embrun et un appel devant celui de Gap. Le charme de ces poèmes devait être encore plus fort à l'époque car il est probable que les différentes personnalités citées, en particulier parmi les habitants de Pont-du-Fossé, font référence à des personnages réels qu'il devait alors être facile d'identifier. Jean Faure n'a pas peur de vexer les gens en les dépeignant sous un jour souvent un peu ridicule. Il n'hésite pas à dire, parlant du maire de Saint-Jean-Saint-Nicolas, qu'il est « éclipsé » du poème, car « il l'est également dans l'esprit du pays, où il passe pour n'avoir agi que d'après l'impulsion d'autrui ». Le maire a dû apprécier !

Quant à ceux qui s'interrogent sur ce qu'est une Panelle, cette carte postale ancienne permet de voir qu'il s'agit d'un clocher en forme de cheminée, en haut duquel se trouve une fenêtre où l'on place la cloche :

Avec une faute dans la légende : Trustelle, au lieu de Frustelle.

Un dernier charme de cet exemplaire est cette page d'envois successifs entre les différents propriétaires :


Transcription :
A Monsieur Albert, avocat
Son bien dévoué
Biétrix

Prière à monsieur Fermeau
Prière de conserver cet ouvrage
A. Albert

Prière à mon ami Tournier
d'accepter cet opuscule
Fermau
Seul Aristide Albert est bien connu. Malgré un nom peu courant, je n'ai pas réussi à identifier le premier possesseur.

Il est dommage que l'œuvre de Jean Faure du Serre ne soit aujourd'hui accessible que par l'édition de ses Œuvres choisies donnée en 1892 par l'abbé Gaillaud et rééditée en 1986. De l'avis de tous, elle est fautive et infidèle. L'abbé Allemand accuse l'abbé Gaillaud d'avoir " torturé et défiguré les textes du poète en voulant y mettre du sien". Cet extrait de La Cloche de Frustelle et sa transcription par l'abbé illustrent les transformations subies par le texte :
Texte original (p. 15) :
Les fabriciens,  après court examen,
Votèrent tous en répondant : Amen.
Ainsi fut pris un dessein téméraire,
Qui dut bientôt troubler tout le pays.
Ainsi l'on voit que les plus beaux esprits
Peuvent faillir en croyant de bien faire!

Transcription (et transformation) par l'abbé Gaillaud dans le recueil de 1892 :
Les conseillers, après court examen,
Votèrent tous en répondant : Amen.
Ainsi fut pris un dessein téméraire,
Qui dut bientôt troubler tout cet endroit.
Ce qui fait voir que l'esprit le plus droit
Peut se tromper même en croyant bien faire.
Peut-être qu'un jour, quelqu'un s'attellera à une édition des œuvres complètes fondée sur les éditions originales (je ne sais pas si les manuscrits existent encore) et proposera en même temps une biographie modernisée, et probablement moins "cléricale", de Jean Faure du Serre.

Pour aller plus loin, les pages que je consacre à :
La Cloche de Frustelle
Jean Faure du Serre
et ce message à lui consacré sur ce blog à propos du Banc des Officiers.

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(25/12/2018 21:31)
Le prince Bibesco, le Dauphiné ... et Proust"

Il existe un petit jeu qui consiste à essayer de mettre dans la même phrase deux mots que rien ne relient. C'est un peu le même jeu auquel je me soumets en essayant de parler, dans un même message, de Proust et du Dauphiné, deux mondes qui sont totalement étrangers l'un à l'autre. C'est grâce au prince Alexandre Bibesco que je peux créer un lien, certes ténu, entre eux.

Source gallica.bnf.fr / BnF
Le prince Alexandre Bibesco est né à Bucarest en 1842, fils de Georges Démèter Bibesco (1802-1873), prince régnant de Valachie. Le catalogue de la BNF le qualifie d'homme de lettres et de linguiste. Membre perpétuel de la Société de linguistique, il est l'auteur de : La question du vers français et la tentative des poètes décadents. Il est aussi qualifié de poète, essayiste, musicien, et enfin de bibliophile, qui abritait ses collections au 69 de la rue de Courcelles. A cette même adresse, son épouse, Hélène Bibesco a tenu un salon fameux où elle recevait, entre autres, les musiciens Claude Debussy, Fauré, Charles Gounod et Camille Saint-Saëns, les peintres Pierre Bonnard et Édouard Vuillard, le sculpteur Aristide Maillol, ainsi qu'Anatole France et enfin Marcel Proust, qui venait en voisin. C'est là que celui-ci a sympathisé avec Antoine Bibesco et son frère Emmanuel, les fils d'Alexandre et Hélène Bibesco.

Ce que ne disent pas les différentes notices que j'ai trouvées sur Alexandre Bibesco est que ce mondain cultivé était aussi un alpiniste, ou, pour être plus précis, un excursionniste. Il mettait à profit ses villégiatures d'été à Uriage, à un moment où cette petite ville d'eaux avait un certain standing, pour découvrir la région et partir dans des excursions - nous dirions aujourd'hui des randonnées - au Taillefer, à Chamechaude, à Chamrousse, au Granier (Eh oui ! il faisait quelques infidélités vers la Savoie voisine), le Vercors et la Bérarde. Au retour de ses excursions, il prenait sa plus belle plume pour donner le récit de son ascension qu'il envoyait à son ami Xavier Drevet, le directeur du journal Le Dauphiné. Ces textes, publiés dans le journal, ont parfois été tirés à part. Parus entre 1875 et 1887, ils ont ensuite été rassemblés dans un recueil sous le nom de Delphiniana, publié en 1888 par Xavier Drevet. Le prince, poète comme on le sait, y a aussi inséré quelques sonnets, comme ses Adieux au Dauphiné, ou cette Exhortation à Louis-Xavier Drevet. Comme il se doit, en homme galant, il a dédié l'ouvrage à Louise Drevet, la célèbre romancière du Dauphiné, et, accessoirement, l'épouse de Xavier Drevet.



A la lecture de ces textes, nous sommes plongés dans ce monde de l'excursionnisme cultivé, comme a pu le qualifier Olivier Hoibian. Les texte sont écrits sur un ton léger et anecdotique - il ne faut surtout pas se prendre au sérieux. A proprement parler, on n'y apprend rien, mais ce n'était d'ailleurs par leur objectif. Le ton parfois badin et le style soigné, quoique classique, en rend la lecture agréable. Le prince n'hésite pas, le moment venu, à partir dans des digressions, comme, par exemple, lorsque il réussit à parler d'Émile Zola dans son texte sur l'Obiou et Belledonne, à propos du Chalet de la Pra : « Malheureusement, ce poème attend encore son poète. O Émile Zola ! Homère du ruisseau, Shakespeare de l'égout, Balzac des bassesses citadines, de la crapule des prolétaires, des dévergondages psychologiques, des purulences charnelles ! Que n'étais-tu là ! que n'étais-tu, – pour employer un de tes vocables les plus mitigés, – fourré dans ma peau ! ». En dépit de ce que peut laisser penser cet extrait, la suite du texte montre plutôt de l'estime pour Zola.

Ce qui nous est donné à voir est surtout un monde disparu, celui de ces hommes cultivés, mondains, bien élevés et, au fond, dilettantes, qui, lorsqu'ils partaient sur les chemins de montagne, nous en donnaient ensuite le récit. Bien entendu, le prince Bibesco appartenait à la section de l'Isère du Club Alpin Français et à la Société des Touristes du Dauphiné, où son nom apparaît dès le premier annuaire de 1875. Il a réservé ses textes au seul journal Le Dauphiné.

L'exemplaire qui vient de rejoindre ma bibliothèque contient un bel envoi du prince Bibesco à Émile Viallet :


A Emile Viallet, Lamartinolâtre
Le Whymper Dauphinois.
Témoignage de sympathie alpestre
d'un nain pour un géant.
Alexandre Bibesco.
Uriage juillet 1888

Il faut être prince pour se permettre d'écrire que l'on est un "nain" face au "géant" Émile Viallet. Pour ceux qui ne le connaissent pas, cet employé, membre de la grande famille des cimentiers Viallet, est un alpiniste dauphinois dont les exploits ont consisté à gravir quelques beaux sommets comme les Écrins, la Meije ou le Pelvoux, et à en donner le récit, aussi publié par Xavier Drevet :


Certes, au regard des "exploits" d'Alexandre Bibesco, les ascensions de Viallet peuvent sembler le rendre l'égal de Whymper...  Émile Viallet était aussi poète à ses heures perdues, ce qui explique le qualificatif de "Lamartinolâtre". Il faisait publier ses poèmes dans une revue à insertion payante, Littérature contemporaine, d'Evariste Carrance, revue dans laquelle, quelques années auparavant, Lautréamont avait fait paraître son premier de chant de Maldoror (au passage, admirez l'exploit d'arriver à parler dans un même message, de Proust, Zola et Lautréamont, trois écrivains qui n'ont strictement rien à voir avec le Dauphiné !). Le prince, toujours grand seigneur, ne se montre pas moins enthousiaste lorsqu'il parle d’Émile Viallet dans une des Delphiniana : "Émile Viallet, le Whymper Dauphinois, l'escaladeur du Grand Pic de Belledonne avant les câbles, le vainqueur du Goléon, des Fétoules, de l'Etret ; le gagnant de tant de paris désespérés contre l'inaccessible ; Viallet qui, à ses moments perdus, sait se montrer brillant parmi les vélocipédistes du bassin du Rhône ; Viallet l'adorateur des colosses de la Pensée comme de ceux de la Nature, l'enthousiaste de Lamartine comme du Pelvoux ; Viallet, dont les hautes et vaillantes qualités de cœur ne sont dépassées que par une modestie furibonde".



Pour revenir à Proust, sa rencontre avec Alexandre Bibesco ne lui a visiblement pas ouvert les yeux sur le monde de la montagne. Certes, en 1875, Proust était encore un petit garçon, perdu dans les jupes de sa mère, et, en 1888, un adolescent, probablement toujours perdu dans les jupes de sa mère, mais surtout préoccupé de ses émois amoureux et littéraires. A ma connaissance, dans toute sa vie et dans son œuvre, la montagne est totalement absente. Même sa découverte de Ruskin et son admiration pour lui ne lui ont pas donné l'envie de découvrir la montagne.

En ces jours où un envoi de Marcel Proust à  Lucien Daudet a catapulté l'exemplaire n°1 sur Japon de Du côté de chez Swann au prix stratosphérique de 1,51 millions d'euros, sachez qu'un envoi du prince Alexandre Bibesco est sensiblement plus abordable.

Le texte des Delphiniana est accessible sur Gallica : cliquez-ici.

Pour aller plus loin sur la Bibliothèque dauphinoise :

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(16/12/2018 17:21)
Le premier mémoire historique sur le Briançonnais"

C'est par un ouvrage au titre peu engageant que débute l'historiographie du Briançonnais. A la suite des multiples contestations et procès à propos du paiement de la dîme à la prévôté d'Oulx, les communautés briançonnaises délèguent deux des leurs, Jean Brunet et François Bonnot, pour négocier un paiement annuel et forfaitaire de cette dîme, à charge aux communautés de se mettre d'accord entre elles pour se répartir la charge. Un accord est trouvé le 6 décembre 1747. C'est le texte de cette transaction, ainsi que de nombreuses pièces annexes, que Jean Brunet, « Seigneur de l'Argentiere, Conseiller du Roi, ancien Commissaire des Guerres, Receveur des Tailles, & Député du Briançonnois », publie en 1754 sous le titre de :
Recueil des actes, pièces et procédures concernant l'Emphitéose perpétuelle des Dîmes du Briançonnois. Avec un mémoire historique et critique pour servir de Préface.




Ce recueil est particulièrement intéressant car il débute par un mémoire historique sur le Briançonnais, qui est la première histoire de la région qui ait été publiée. Pour le détail du contenu du recueil et du mémoire, je renvoie à la page que je lui consacre : cliquez-ici. La lecture de ce document m'a conduit à ces quelques réflexions.

La première est que l'on ne conçoit pas le degré d'autonomie dont jouissait le Briançonnais. Que l'on s'imagine un ensemble de communautés négociant avec le bénéficiaire d'un impôt pour en régulariser le paiement et la perception et pour se répartir entre eux la charge de cet impôt. On comprend mieux qu'au XIXe siècle, les premiers érudits que se sont intéressés aux institutions briançonnaises en aient donné une image de liberté et de responsabilité, parfois en l'enjolivant, au moment même où cette autonomie était perdue au profit de l’État. C'est cette autonomie qui a été rendu possible par la transaction passée avec Humbert II en 1343, à l'origine de l'institution des Escartons.

Jean Brunet passe d'ailleurs rapidement sur cette transaction fondatrice avec Humbert II. Pas plus que pour la transaction sur la dîme qui fait l'objet de ce livre, il ne cherche à mettre en valeur la liberté et l'autonomie dont jouissait le Briançonnais. Soit qu'il ne jugeait pas nécessaire de le faire, soit que cela ne lui apparaissait pas si extraordinaire pour mériter qu'on le signale. Et pourtant, l'histoire montrera que c'était un bien précieux et fragile.

Ce mémoire montre aussi l'étendue des lectures de Jean Brunet et sa capacité à en tirer profit et à les ordonner. Rappelons qu'il est le fils d'un marchand et maquignon de Cervières, près de Briançon. Il n'a pas été élève au collège des Jésuites d'Embrun, qui formait l'élite de la région. C'est une preuve, une nouvelle fois, du haut niveau de culture auquel pouvaient accéder les habitants de cette région. Ce mémoire est le résultat de ses lectures, que lui ont permises son éducation villageoise et sa propre curiosité intellectuelle. Ce niveau de culture était la condition, me semble-t-il, de la solidité des institutions briançonnaises. Pour pouvoir s'administrer, il fallait des hommes instruits. Il leur fallait aussi une culture, qui n'était peut-être pas la culture classique et humaniste des aristocrates et grand bourgeois du temps, mais qui était une culture juridique, historique et pratique qui permettait de s'administrer.

Enfin, ce mémoire illustre, malgré lui, le renversement de perception sur les Vaudois. Aujourd'hui, cette secte chrétienne est perçue très favorablement. Plus personne ne songerait à fustiger leur dissidence. Cette dissidence est même un titre de gloire pour ces populations qui ont su résister et garder pure leur foi. Il n'est qu'à voir l'estime dont jouissent actuellement les frères Baridon de Freissinières dans leur refus de la guerre en 1914. Avec Jean Brunet, nous sommes avant ce retournement. Sa position vis-à-vis des Vaudois est dans la droite ligne de la vision que l'on pouvait en avoir dans le cadre de l'orthodoxie catholique. Il rapporte les lieux communs sur les Vaudois, en particulier qu'ils commettaient « des impiétés et des abominations qui font horreur ; que la débauche, le libertinage et la corruption des mœurs, dominaient parmi cette secte ». On est loin de l'image positive et réhabilitée qu'on en donnera à partir du XIXe siècle, en particulier Aristide Albert dans son ouvrage Les Vaudois de la Vallouise.

Je possédais déjà un exemplaire de ce livre, dans une reliure d'époque un peu usée.



Cet exemplaire, en meilleur état intérieur et extérieur, est de nouveau un témoignage de la circulation des livres anciens entre les érudits et bibliophiles du XIXe siècle, comme j'avais pu le raconter à propos d'un exemplaire des mémoires de Berwick (cliquez-ici). Sauf qu'ici, il ne s'agit pas de deux personnalités dauphinoises et un livre, mais de trois personnalités dauphinoises et un livre. On retrouve encore Aristide Albert qui a donné cet exemplaire à son compatriote Gustave Roux.



Gustave Roux (Briançon 29/4/1815 - Grenoble 9/3/1891) était un avoué et magistrat, mais surtout un bibliophile : « Il avait formé une importante bibliothèque vendue à un libraire après sa mort. ». On trouve ses initiales dorées en queue du dos. Dans cet exemplaire, il a souligné en rouge les noms des membres de sa famille, dont son grand-père Roux, notaire à Vallouise, lorsqu'ils apparaissaient dans les documents transcrits.

 
L'ouvrage a ensuite appartenu à Henri Ferrand, qui y a apposé son ex-libris.


Il existe aussi une édition in-4° de cet ouvrage, avec ce beau faux titre :


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(25/11/2018 15:39)

Dernière mise à jour : 30/10/2023 11:10